Haïti – Économie : La précarité de l'économie haïtienne ces derniers temps

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Les conditions socio-économiques d’Haiti deviennent de plus en plus vulnérables. Ces derniers, c’est le pire. Une situation provoquée par l’instabilité politique et une gouvernance économique inadaptée à la réalité du pays. Des spécialistes s’interrogent sur l’atteinte des Objectifs de Developpement Durable par l’État Haitien dans cette situation.

Port-au-prince, le 18 janvier 2020. L’économie Haïtienne n’a jamais été aussi vulnérable pendant  les 25 dernières années. Notre capacité à créer des richesses et résoudre les problèmes provoqués par des phénomènes sociaux, n’a pas  été si grande pour un pays qui dispose de ressources naturelles extraordinaires. L’instabilité politique, la mauvaise gouvernance et l’absence de vision et de politiques publiques constituent les maux les plus époustouflants qui rongent l’économie haïtienne. Selon des experts qui analysent l’économie Haïtienne, notre incapacité à créer des richesses et  les mettre au service de la collectivité, ne contribue pas au mieux-être des citoyens. Cette situation économique que nous avions connue n’a été aussi avérée et aggravante au cours de la dernière décennie. L’économie Haïtienne souffre d’un malaise protéiforme qui est en inadéquation avec les objectifs économique que tous les Etats doivent atteindre en vue de l’amélioration de la qualité de vie de leurs citoyens et citoyennes. Ajoutée à cela, l’incapacité de créer des conditions économiques pour une croissance soutenable et durable, le manque d’investissement dans les secteurs productifs, de l’économie et l’absence de programmes et projets viables susceptibles de stimuler la demande et par ricochet la création d’emplois.
C’est un mécanisme  qui aurait pu, grâce au mécanisme de l’effet d’entraînement, amorcer le processus de décollage de l’économie Haïtienne. Le résultat de cette démarche est décevant et catastrophique sur toute la ligne. En effet,  les politiques économiques et les programmes sociaux dans bien  des cas, constituent  des éléphants blancs. Ce sont des investissements dans des projets non rentables, sur –  dimensionnés, techniquement mal montés et mal gérés.  Aussi, importe t-il de signaler que  la République d’Haïti a raté les grands rendez-vous de l’histoire dont les OMD.
Depuis plusieurs années, des pratiques en matière de gouvernance économique peu usitées ayant conduit à des gaspillages et dilapidations de fonds publics, ont contribué à la dégradation du tissu économique et à la vulnérabilité de l’économie.  Tous ces éléments, s’observent dans un contexte socio – économique différent, marqué par la mondialisation dont l’une des exigences fondamentales, est la rationalité, la compétitivité, bref la performance, avec l’emphase mise sur les technologies de l’information et de la communication.
Avec cette nouvelle reconfiguration de l’économie mondiale, les chances d’attraction des capitaux étrangers pour Haïti sont limitées et la solution au financement du développement passe désormais par l’Aide Publique au Développement (APD). Cette aide est aujourd’hui transformée en Haïti  en appui budgétaire au développement, conformément aux réformes actuelles basées sur les principes de la gestion axée sur le résultat.
 
En effet, l’appui budgétaire est intervenu dans un contexte politico – économique qui traduit d’une part, la rareté des ressources financières et la diminution des recettes de l’Etat ; d’autre part, l’inefficacité de l’aide résultant de l’incapacité des décideurs et gestionnaires à faire un usage rationnel, efficace et efficient des rares ressources financières mises à leur disposition, pour promouvoir le développement durable, concept lié aux  ODD.
En l’an 2000, l’Etat Haïtien a souscrit aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) ; et en  2003, il s’est lancée dans un vaste  Programme Intégré de réponse aux besoins Urgents des communautés et Populations Vulnérables (PIR) lancé par les Nations Unies. Le but de ce programme consistait à apporter une réponse coordonnée, rapide et ciblée aux besoins urgents de la grande majorité de la population vivant dans la précarité. Pourtant, malgré toutes ces initiatives, aucun résultat  n’a été obtenu  pour atteindre les OMD. C’est aussi au milieu de l’année 2003 que le gouvernement a initié pour la première fois la préparation d’une Stratégie Intérimaire de Réduction de la Pauvreté. Il mettait ainsi à profit le cadre méthodologique proposé par les Institutions de Bretton Woods et les incitations monétaires qui y sont généralement associées. Mais, les troubles politiques de la fin de 2003 et du début de 2004 ont été catastrophiques pour le pays et ont mis aussi fin à l’exercice de préparation de cette aventure.  Malgré les échecs enregistrés dans l’évaluation des OMD, durant l’année 2015, l’Etat Haïtien s’est encore engagé  à la signature des ODD. Aujourd’hui, il importe de questionner les différents  objectifs de développement durable et les moyens dont dispose l’Etat pour les atteindre et quelles sont les perspectives d’ici 2030. Face à ces interrogations, les institutions internationales tentent depuis les  années 90 de définir de nouveaux mécanismes capables d’incrémenter des politiques adéquates pour résoudre les phénomènes sociaux liés au développement durable. Certes, il va sans dire, que la plupart des politiques économiques  mises en œuvre depuis plusieurs décennies ont été irriguées par l’absence d’initiatives et de cadres réglementaires amarrés au développement durable. Les analystes du courant de la décroissance, considèrent que le développement durable quelque soit l’approche adoptée du développement,  c’est la croissance économique, l’accumulation du capital avec tous les aspects y afférents qui met en exergue les différentes opportunités que la nature offre en vue de pallier certains problèmes économiques. Etant donné que le concept du développement durable ne présage pas seulement la transformation sociétale, il en découle la préservation des actifs dont le seul but consiste à préserver la génération future.
Malgré les efforts déployés par les auteurs de l’école classique et des pro croissance, le mouvement décroissance met en lumière les limites et les contradictions du développement durable par rapport au développement du capitalisme à outrance et au développement des chaines de valeurs des entreprises dont la résultante serait l’aggravation de l’environnement et des inégalités sociales.
L’objet de cette note d’analyse est d’offrir un tableau pratique des interactions entre l’économie sociale et solidaire  et le développement durable. En d’autres termes, il s’agit pour nous à travers cette note  de nous interroger « Comment  l’économie sociale et solidaire  s’articule dans la pratique et peut contribuer à l’atteinte des ODD? Pour cela, nous commençons tout d’abord par un petit détour théorique et conceptuel.  Le développement durable, tel qu’il est apparu en 1987 dans le rapport Brundtland intitulé « Notre avenir à tous », désigne le fait de pouvoir « répondre aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations à venir, de satisfaire les leurs »[1].  Il s’agit donc d’un processus qui tend à concilier l’économie, le social et l’écologie, « un processus de changement  dans lequel l’exploitation des ressources, le choix des investissements. Ainsi, dans une approche transversale, les choix des modes de transformation sociétale, technique et institutionnelle sont déterminés en fonction des besoins actuels et futurs.
Par ailleurs, le développement durable tel qu’il est conçu, ne se limite pas à la protection de l’environnement contrairement aux opinions de certains spécialistes ou environnementa listes. Il est plus profond et plus important que l’on pourrait imaginer, si on doit se référer aux différentes théories économiques. Il s’agit d’une approche globalisante axée sur une démarche triptyque : l’économique, l’écologique et le social. Au cours de la décennie (1980-1990), un autre concept était redevenu d’actualités: il s’agit de l’économie sociale et solidaire. Plus qu’un processus, il désigne le développement d’un secteur économique et social accentué sur  la solidarité, l’égalité et la coopération en lieu et place des logiques de l’économie capitaliste actuelle dont la rentabilité économique est axée sur la redistribution . En d’autres termes, l’économie sociale veut remettre l’humain au centre de toute démarche.
Parallèlement, l’économie sociale et solidaire peut être définie comme « l’ensemble des activités économiques soumises à la volonté d’un agir démocratique où les rapports sociaux de la solidarité priment sur l’intérêt individuel ou le profit matériel »[2]. Le Conseil Wallon  de l’Economie Sociale (CWES) a formulé, en 1990, une définition de l’économie sociale basée sur quatre finalités : « L’économie sociale se compose d’activités économiques exercées par des sociétés, principalement des coopératives, mutualités et des associations dont l’éthique se traduit par les principes suivants : finalité de service aux membres ou à la collectivité plutôt que le profit, autonomie de gestion, processus de décision démocratique, primauté des personnes et du travail sur le capital dans la répartition des revenus>>. Dans un article, Pepita Ould-Ahmed économiste et chercheur à l’Institut de Recherche et de Développement (IRD), propose six critères pour ébaucher les contours :
ü  la préoccupation pour des thématiques extra-économiques (environnementales, sanitaires, de justice sociale,…) ;
ü   le rejet de la logique individualiste concurrentielle et la promotion de l’association et de la coopération ;
ü  la promotion de l’autogestion ;
ü la nécessité pour les personnes défavorisées d’intégrer les structures productives (chômeurs, personnes touchées par la pauvreté ;
ü  la recherche de l’égalité via notamment l’autogestion.
L’économie sociale et solidaire a pour objectif de promouvoir la « valorisation de la démocratie » et l’implication des individus dans la production et la création de richesses.
Dans un article sur les liens entre l’économie sociale et le développement durable, Amanar Akhabbar et Sophie Swaton, tous deux chercheurs à l’Université de Lausanne, exposent l’idée que la convergence du développement durable et de l’économie sociale pourrait être profitable pour dessiner une société durable. Selon eux, « les deux approches font  appel à une  réorganisation de l’économie de marché et du capitalisme qui passe par une modification radicale de la structure économique et des incitations qui guident les valeurs économiques et sociétales pou une meilleure répartition des richesses.
A partir  de ce survol que nous venons de faire et du cadre théorique,, nous pouvons poser cette question : comment l’économie sociale et solidaire pourrait-elle réduire le chômage et contribuer à l’atteinte des Objectifs de Développement Durable ?. En questionnant  les quatre finalités  de la définition de l’économie sociale et solidaire, il y a lieu de se demander s’il y a une corrélation entre le développement durable et l’économie sociale et solidaire? En d’autres termes, le développement durable se limite-t-il aux quatre finalités de l’économie sociale. A travers notre analyse, il sera question de regarder comment l’économie sociale et solidaire peut-elle jouer pleinement son rôle dans un contexte de pauvreté. Il s’agit de démontrer que l’économie sociale et solidaire constitue un modèle innovant et une stratégie de développement de façon soutenable, durable et intégrative. Notre analyse nous a permis de constater et d’examiner  quelques thématiques et secteurs  ayant une  relation entre ces deux concepts. En outre, l’économie sociale et solidaire peut jouer un rôle crucial dans la réalisation du Programme 2030 et des ODD. Elle permet un développement partagé et durable au moyen d’innovations stratégiques et des actions pérennes tant sur le plan social et économique. Aussi faut-il signaler qu’il y a des liens profonds  entre l’économie sociale et solidaire et l’ensemble des 17 ODD qui seront détaillés dans les lignes suivantes ? Ce modèle économique est un nouveau paradigme pour les pays à faible revenu dont les problèmes structurels pèsent et qui évidemment peut s’attaquer au facteur d’exclusion sociale. Nous examinerons dans ces lignes les relations existantes entre ESS et ODD pour présenter la façon dont l’économie sociale et solidaire peut aider à atteindre ces objectifs. Dans cette approche,  nous allons analyser quelques ODD et en déduire.
ODD 1: Éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout
 Donner à tout le monde les moyens pour s’en sortir, il s’agit dans cet ODD de créer des conditions favorables à l’amélioration de la qualité de vie des citoyens haïtiens, Par conséquent l’économie sociale et solidaire peut contribuer à la réalisation de cet objectif par la création d’emplois en permettant aux différents acteurs de la société civile de se mutualiser, mettre sous formes de coopératives des entreprises innovantes et de  faciliter l’accès au plus grand nombre afin de réduire la précarité et les inégalités sociales.  
ODD 2: Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable
Les agriculteurs peuvent former des coopératives agricoles afin de développer des réseaux et du même coup d’exploiter les grandes exploitations.
ODD 3: Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge 
Les organisations  de la société civile peuvent fournir des services de santé de qualité à travers des coopératives de santé.
ODD 4: Assurer l’accès  à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité  et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie
Les organisations actrices de l’économie sociale et solidaire se retrouvent dans  la prestation de services sociaux et dans l’assistance sociale.
ODD 5: Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles
L’économie sociale et solidaire est importante pour atteindre les objectifs qui sont liés à la valorisation des soins des personnes et des travaux ménagers sans oublier l’autonomisation des femmes et des filles et l’égalité des sexes.
ODD 8: Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous
L’économie sociale et solidaire a une contribution à apporter à la progression de l’emploi précaire et à l’incapacité du secteur formel traditionnel à remplir son rôle d’absorption de la main-d’œuvre excédentaire qui provient, par exemple, des zones rurales, à travers des entreprises sociales.
ODD 9: Bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable qui profite à tous et encourager l’innovation
S’agissant du développement des infrastructures, l’économie sociale et solidaire vise principalement les équipements sociaux et énergétiques, mais elle peut aussi jouer un rôle important dans le développement des infrastructures économiques par des activités de sensibilisation au moyen de la communication
ODD 11: Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables
La qualité de vie dans les établissements humains (ODD 6 et 11) s’améliorera grâce à la participation citoyenne active à l’économie sociale et solidaire.
ODD 15: Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres, en veillant à les exploiter de façon durable, gérer durablement les forêts, lutter contre la désertification, enrayer et inverser le processus de dégradation des sols et mettre fin à l’appauvrissement de la biodiversité
ODD 14: Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable
ODD 7: Garantir l’accès à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable
L’économie sociale et solidaire est aussi cruciale en vue de la transformation des modes de consommation. Elle fait partie d’une évolution culturelle qui cherche à s’opposer au consumérisme et à la surconsommation, ainsi qu’au sacrifice de la durabilité environnementale au profit de la croissance économique
ODD 17: Revitaliser le partenariat mondial au service du développement durable et renforcer les moyens dudit partenariat
Les actions de sensibilisation  et le dialogue sur la politique auxquels participent les organisations actrices de l’économie sociale et solidaire sont importants afin d’assurer la cohérence et l’harmonisation des politiques. Les réseaux régionaux et internationaux, acteurs de l’économie sociale et solidaire jouent un rôle important dans la diffusion des connaissances sur les innovations sociales, technologiques, institutionnelles et politiques pertinentes. Les données relatives à l’économie sociale et solidaire sont importantes pour mieux évaluer les progrès obtenus en matière de développement durable
En somme, cette réflexion nous démontre que l’économie sociale est à la fois transformatrice,  productrice mais également inclusive, car elle permet à travers des politiques publiques d’éradiquer de façon durable  les objectifs de développement durable d’ici 2030.  Les limites du modèle économique capitaliste n’ont pas permis à date l’inclusion sociale et financière. Est-ce pourquoi, les acteurs de la société civile  et  les institutions internationales à questionner  l’ancien modèle. Ce nouveau paradigme a été en grande partie porté par les coopératives, les associations communautaires de base, les mutuelles et les caisses d’épargne. L’économie sociale a inventé un nouveau modèle qui met l’humain au centre de l’entreprise et  les bénéfices générés sont repartis au sein de la collectivité pou le bien-être de tous.
Aujourd’hui, il est important pour les acteurs sociaux de créer des conditions  pour développer une société durable et de promouvoir l’ESS à travers des politiques publiques qui prennent en considération les trois dimensions du développement durable : la dimension écologique, la dimension économique et la dimension sociale.

Écrit par l’économiste Louis James

Ce texte est publié dans la rubrique « Opinions » et n’engage que son auteur.