Haïti / Justice Nouveau code Pénal : Les réserves de l’Association Nationale des Magistrats Haïtiens

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Le président Jovenel Moïse a récemment publié le nouveau code pénal haïtien. Le texte, qui entrera en vigueur dans deux ans, suscite des grognes des secteurs vitaux dont l’Association Nationale des Magistrats Haïtiens (ANAMAH) qui émet des réserves notamment sur l’article 745.

Port-au-Prince, le 18 juillet 2020._L’article 745 du nouveau code pénal haïtien, qui prévoit une peine de prison pour un juge reconnu coupable de déni de justice, n’est pas bien vu aux yeux du président de l’Association Nationale des Magistrats Haïtiens (ANAMAH), Me Jean Wilner Morin.

Il affirme que la quasi-totalité des magistrats de la république avaient attiré l’attention des commissaires sur l’article 745 et sur plusieurs autres qui, selon eux, sont en désaccord avec la réalité sociale et culturelle du peuple haïtien.

Il est clair que certains magistrats affichent des comportements de négligence et de paresse dans le traitement des dossiers sur lesquels ils sont désignés et que ce comportement doit être sanctionné car beaucoup de justiciables et d’avocats se plaignent à raison de la lenteur constatée dans le système et ceci par la faute des magistrats qui mettent beaucoup trop de temps à traiter les dossiers et à rendre les décisions dans les délais fixés par la loi, reconnait le magistrat.

Jean Wilner Morin rappelle, dans un communiqué, que l’article 146 du code pénal de 1835 avait déjà traité la question relative au « DENI DE JUSTICE ». Aussi, poursuit-il, la cour de cassation a déjà rendu des arrêts au regard de l’article 146 comme l’arrêt du 12 juillet 1841 qui stipule : « Aux termes de l’article 146 du code pénal, pour que les magistrats puissent être poursuivis pour déni de justice, il faut qu’ils reçoivent injonction de leurs supérieurs dans la hiérarchie judiciaire, s’ils persistent dans leur déni de justice. Mais lorsqu’aucune injonction ou avertissement ne lui ont été faits comme le prescrit l’article précité, la plainte doit-être rejetée » (Cass. H. arrêt du 12 juillet 1841 in code pénal Jean Vandal, 3e édition, juillet 2007, p. 144)

De plus, dans l’affaire opposant l’ex-sénateur Samuel Madistin à l’État haïtien, la Cour de cassation a jugé que : « quand un juge se déclare incompétent pour connaitre une affaire portée devant lui, il doit par la même occasion identifier le tribunal compétent pour connaitre l’affaire. Sinon il commet un déni de justice », a-t-il expliqué.

L’ANAMAH dit noter que le législateur de 1835 tout comme la Cour de Cassation sanctionnent le déni de justice, ce qu’elle reprouve aussi. Mais, elle relève que dans l’ancien code il est prévu seulement une amende de 48 à 96 gourdes et l’interdiction des fonctions publiques allant d’un à cinq ans comme sanction contre un magistrat pour déni de justice.

Pourquoi prévoir aujourd’hui une peine de prison pour le déni de justice quand on sait que les juges haïtiens sont en général surchargés et ont très peu de moyens pour faire leur travail?

Jean Wilner Morin soutient qu’on aurait dû maintenir l’article 146 de l’ancien code en augmentant uniquement les amendes sans recourir à une peine de prison aussi lourde pour l’infraction déni de justice.

De plus, en 2020 et après les acquis obtenus de haute lutte pour l’indépendance de la magistrature symbolisée par l’indépendance du juge, l’ANAMAH  a du mal à accepter l’expression « injonction de ses supérieurs » dans la définition de l’infraction « déni de justice ».

Le juge, agissant dans sa fonction juridictionnelle, n’est pas censé avoir de supérieurs. La loi et sa conscience étant sa seule boussole, soutient le président de l’ANAMAH qui s’interroge également sur la légalité constitutionnelle du décret portant sur le nouveau code pénal ainsi que sur le délai d’implémentation

L’association plaide pour une reforme pénale en Haïti mais une réforme qui tient compte de la réalité culturelle, sociale et économique du peuple haïtien.

C’est déjà une bonne idée de penser à reformer le système pénal haïtien vieux de près de deux siècles. Le travail réalisé par la commission de réforme est très appréciable tenant compte de certaines innovations.

Cependant beaucoup de choses sont à revoir par rapport à la réalité socio-culturelle du pays, comme la majorité sexuelle par exemple, la question de l’avortement et de l’âge relatif à la consommation des boissons alcoolisées, soutient le juge Jean Wilner Morin.

Vant Bèf Info (VBI)