Jhonson Napoléon nous parle du rêve américain et d’Haïti
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Suite à notre article « Le rêve américain : une aspiration universelle », nous avons initié une série d’interviews pour permettre au public d’avoir l’avis d’experts et de professionnels dans différents domaines sur ce concept. L’homme d’affaires Jhonson Napoléon nous livre sa vision du rêve américain et de sa compréhension d’Haïti. VBI pour Vant Bèf Info et JN pour Jhonson Napoléon.
VBI: C’est quoi pour vous le rêve américain ?
JN: Le rêve américain est la possibilité de réaliser ce dont vous rêvez, mais il va plus loin. Vous pouvez faire plus que cela parce que vous trouvez tellement de personnes qui ont réussi dans différentes sphères, ce qui vous offre la possibilité d’aller au-delà de ce que vous pouvez imaginer et de réaliser plus que ce que vous avez rêvé. Les USA vous donnent une vision avec une perspective plurielle sur comment réussir, tout en vous montrant des exemples. Vous avez plusieurs perspectives sur la façon de réussir.
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VBI: Que doit faire une personne, en particulier les jeunes qui immigrent aux États-Unis, pour vivre leur rêve ?
JN: Il y a une question de compréhension du système. Beaucoup d’Haïtiens qui débarquent aux USA ne comprennent pas le système. Il faut d’abord chercher à comprendre comment fonctionne le système pour pouvoir bien s’y adapter et évoluer intelligemment. Il y a aussi la question de la personne qui les accueille. L’environnement social que la personne qui vient d’immigrer va avoir beaucoup d’impacts sur lui et sa compréhension de la réalité. Par exemple, si le nouvel immigré est accueilli par une personne qui part travailler très tôt le matin et revient tard le soir, cette personne n’a pas vraiment de temps pour comprendre la réalité dans laquelle elle évolue. Elle n’a pas le temps de s’informer et les personnes avec lesquelles elle passe le plus de temps sont dans la même situation. Ce n’est pas la meilleure personne pour orienter un nouveau venu, encore moins un jeune.
Quand je suis arrivé aux USA, j’ai trouvé mon oncle qui m’a orienté. Lui, il avait déjà sa propre entreprise et comprenait bien comment fonctionne le système. Il m’a offert un magazine pour me montrer comment s’habillent les hommes d’affaires. Il m’a dit que quand les Américains noirs présentent le journal, ils portent un costume et s’expriment avec un langage soutenu. Les gens dans l’environnement comptent beaucoup. Ensuite, vous devez savoir ce que vous voulez et être cohérent. On dit souvent qu’il faut travailler dur. Oui, vous devez travailler dur, mais vous devez surtout travailler intelligemment et vous devez être très discipliné.
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VBI: Pensez-vous que le rêve américain est quelque chose d’universel et si oui, quel conseil donneriez-vous aux Haïtiens qui immigrent dans d’autres pays ?
JN: Où que vous soyez, vous pouvez vivre le rêve américain. C’est un concept, un ensemble d’idées. Après tout, en tant qu’Haïtiens, nous sommes Américains. Il existe un pays appelé les États-Unis d’Amérique, mais le continent est le continent américain. Le rêve américain est un ensemble d’idées qui donnent un concept. Tant que vous l’observez, vous pouvez réussir où que vous soyez. Pour réussir aux États-Unis d’Amérique ce n’est pas une question de votre croyance, de votre physique, votre race… C’est une question de savoir ce que vous voulez et payer le prix pour l’obtenir. Donc où que vous soyez, vous pouvez avoir ces valeurs comme idéal pour accomplir vos rêves. Vous devez être une personne de principe, travailler dur et intelligemment pour réussir.
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VBI: Pensez-vous que vous auriez réussi si vous n’aviez pas été aux USA ?
JN: Deux ans plus tôt, je n’aurais pas répondu ainsi, mais pour moi, le succès est plutôt une question spirituelle. Je dirais que le succès, c’est 80 % de spiritualité et 20 % de travail acharné. Par exemple, le roi Salomon était un homme spirituel et c’est sa sagesse spirituelle qui lui a permis d’être aussi riche et de connaître autant de succès. Tout n’est pas seulement éducation et travail acharné. En plus, mon père était spéculateur de café. À Plaisance du Sud, on exportait beaucoup de cafés dans mon enfance. Étant petit, nous avions l’habitude d’aller ramasser les cafés que les rats des champs avaient sucés. Les gens ne récoltaient pas ce café parce que les acheteurs n’en voulaient pas. Nous, les enfants, les ramassions et mon père me les achetait au même prix que les acheteurs le lui payaient. En quelque sorte, j’ai grandi avec un esprit d’entrepreneur.
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VBI: Avons-nous besoin d’un rêve haïtien ?
JN: Pour moi, nous avions un rêve haïtien qui était de vivre libre. Nous sommes arrivés à un moment où nous avons oublié le rêve et avons commencé à copier. Nous avons copié le drapeau français, la constitution française, des lois françaises. Nous nous sommes battus pour vivre libre et nous sommes retournés vers nos bourreaux en les copiant. Nous avons chassé les bourreaux pour prendre leur place. La société haïtienne postcoloniale est organisée de manière similaire à celle de la période coloniale. Un frère qui te transforme en zombie pour te faire travailler dans des conditions pires que celles de l’esclavage. C’est une réplique de ce que faisaient les Français.
En plus, nous n’avons aucune constance en quoi que ce soit. Nous n’arrivons à rien continuer même pour cinq ans. Nous n’avons pas de cohérence et ne respectons pas les principes. Les États-Unis d’Amérique réussissent grâce à la dictature de la loi. Tout le monde se plie sous les principes. Les lois, les institutions sont au-dessus de tous. En Haïti, on dit une personne un vote pour montrer qu’on participe activement à la démocratie. Mais c’est faux! Aux États-Unis, Hillary Clinton a eu plus de votes que Donald Trump, mais elle a perdu les élections. Parce que le système n’est pas comme le nôtre. Ce sont les principes qu’ils respectent eux. C’est la dictature de la loi.
La démocratie nous est vendue différemment ici. On nous a vendu une démocratie où l’on pense qu’on peut faire tout ce qu’on veut. Et ce n’est pas le cas. J’ai voyagé dans plus de 100 pays dans le monde et surtout dans des pays du continent africain. il y a quelque chose d’extraordinaire que j’ai pu constater dans la genèse du rêve haïtien. C’est la langue créole. Elle est la plus grande chose que nous ayons réalisée dans ce rêve de liberté. Pour moi, 1804 n’est rien comparé à la grandeur de l’annonce que nous avons faite lors de la création de la langue créole. Un groupe de personnes qui ne parlent pas la même langue, qui sont issues de différentes cultures, se réunissent et créent une langue, un moyen de communication pour combattre pour la liberté, c’est extraordinaire. C’est le premier combat pour la défense de la liberté d’expression en Amérique je pense. Oui, nous avions un rêve, mais nous avons renoncé à ce rêve pour copier autre chose.
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VBI: Quels conseils donneriez-vous aux Haïtiens (en particulier aux jeunes) pour réaliser le rêve haïtien ?
JN: Ils doivent s’intégrer dans les affaires du pays. Une génération dure 25 ans, donc les jeunes doivent s’intégrer et être actifs et sérieux. Ceux qui ont quelque chose à perdre, ce sont eux. Ils ne doivent pas avoir peur. On peut porter toute sorte de critiques contre François Duvalier, mais il n’avait pas peur de se mettre contre un système et d’imposer le sien. Il ne faut pas avoir peur d’entreprendre, de prendre des risques calculés. Il ne faut pas avoir peur des critiques. L’église fait peur aux jeunes Haïtiens en leur posant des limites qui n’ont rien à voir avec la foi chrétienne, mais plutôt des mauvaises perceptions dues à un manque d’éducation.
Une fois, un jeune homme m’a dit qu’il avait peur de lancer un business à cause des attaques que des pratiquants jaloux du vodou pourraient avoir contre lui. Je lui ai dit de ne pas hésiter à se lancer. Mieux vaut mourir sur la route du succès que de mourir dans le désespoir. Mieux vaut mourir sur la route de la richesse que de mourir pauvre. Si quelqu’un veut te faire du mal, qu’il te trouve sur la route du succès.
Et il y a autre chose aussi, la génération d’aujourd’hui se concentre davantage trop sur des choses faciles sans travail acharné. Ils sont obsédés par la futilité. Ils perdent du temps dans des choses qui ne sont pas vraiment utiles. Il faut arrêter cela. Si vous avez du temps, vous avez déjà une richesse, il faut trouver comment bien l’exploiter. Ils doivent comprendre que ce sont les idées qui dirigent le monde et qu’elles deviennent vivantes par l’intelligence, la discipline et les actes. Il ne faut pas perdre son temps à se plaindre sans rien faire. Un pays dépend de ses citoyens. Le pays n’est pas seulement l’espace géographique. Ce sont les gens qui définissent quel genre de pays ils veulent avoir. Les jeunes doivent cesser de se donner des limites, de se voir comme noirs ou pauvres… Ils doivent avant tout se voir comme des humains. C’est quand vous cessez de vous voir comme un humain que vous devenez très limité. Ils doivent savoir se battre pour faire respecter leur humanité et jouir de toute sa puissance créatrice.
Deslande Aristilde
Vant Bèf Info (VBI)