Haïti : radiographie de la cruauté des bandits armés et de la « ganstérisation » du pays
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Depuis plusieurs mois, les assauts lancés par les gangs armés dans la région métropolitaine hantent le quotidien des Haïtiens. La violence de ces bandes criminelles s’intensifie et est d’une cruauté sans borne. Comment et pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Quels sont les mécanismes pouvant nous sortir de cette terreur sociale?
Port-au-Prince, 12 avril 2024.- Détonations, attaques, affrontements, pillages, incendies, tueries et balles perdues deviennent les vocables les plus appropriés pour décrire la violence excessive des gangs armés en Haïti particulièrement, dans l’aire métropolitaine. La vie est insipide et l’espérance de vie d’un Haïtien ne dépasse pas les 24 heures, même à l’intérieur de sa maison. Sous une table ou sous un lit, il n’est plus à l’abri des balles perdues. L’insécurité a atteint son apogée et la violence aveugle des hommes armés hante le quotidien d’un peuple terrifié par les actes de cruautés d’un petit groupe.
La vie n’est plus la même à Port-au-Prince
Depuis plus d’un mois, on vit à la merci d’une violence incarnée, aveugle et amère des gangs. Leurs actions atteignent les femmes et les enfants. Les hommes sont assassinés et empilés sur des monticules d’immondices en décomposition, dégageant une odeur nauséabonde dans plusieurs recoins de la capitale et dans certaines villes de provinces sous l’œil passif de dirigeants impuissants.
Les deux principales voies d’accès à la capitale sont bloquées par des gangs. Des commissariats et sous commissariats vandalisés et incendiés. Une panoplie d’institutions privées ou publiques ont fermé leurs portes. Les balles perdues n’épargnent personne : à la maison ou dans la rue, la liste des victimes s’allonge. Le Champs de Mars, généralement lieu de grand débat public et contradictoire est aujourd’hui méconnaissable et devient l’Armageddon apocalyptique où les rafales d’armes automatiques retentissent à longueur de journée.
Pour illustrer cette situation fragile et volatile du pays, le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) a présenté un bilan alourdissant et inquiétant des actes de violences et de cruautés des hommes armés. « De janvier à avril 2024, ladite organisation a recensé 208 morts, 13 postes de pillage, 64 femmes et filles violées, 83 institutions publiques et privées pillées puis incendiées et 158 blessés par balles à Port au Prince».
Un regard dans le passé.
Pour mieux appréhender la crise haïtienne d’aujourd’hui, il faut remonter à l’histoire même de sa fondation, pense Jules Etienne, professeur de lettres : « Si l’on veut comprendre le comportement d’un individu, il faut donc remonter à son origine, son passé et les circonstances dans laquelle il est né». Et, la nation haïtienne n’est pas exempte de ce principe, on doit remonter à sa création pour une idée générale sur la crise d’aujourd’hui, a-t-il ajouté.
Cette nation est piégée dès sa conception. Les héros de l’armée indigène étaient pour la plupart des esclaves qui ne savaient ni lire ni écrire. Certains d’entre eux ont reçu une formation vulgaire en maniement d’armes à feu de la part de leur « maitre » aux fins d’être utilisé à son profit lors des luttes incessantes entre les différentes classes sociales à Saint Domingue. Après la proclamation de l’indépendance, cette carence se faisait sentir au point où elle nous a empêchés de suivre une trajectoire positive vers la voie de développement, comme le font les nations qui nous ont précédés.
Lors d’une intervention à l’émission matinale de Magik 9 en mars 2023, le psychologue social Raynold Billy a attribué cette violence inouïe des gangs dans le pays à « la façon dont la nation a pris naissance ». « Une nation née sous les canons et avec une politique « koupe tèt, boule kay », a-t-il déclaré.
De plus, lorsque l’individu est privé de ses besoins fondamentaux, il a souvent recours à la violence pour faire entendre sa voix. « Un individu dont les droits les plus élémentaires sont bafoués et privés de tout illustre ses revendications par une violence aveugle et féroce », a ajouté le spécialiste lors de sa participation à l’émission.
Un complot à plusieurs têtes
En faisant une analyse succincte de la situation, cette évidence n’a pas pu nous échapper. Un complot à plusieurs auteurs.
Dans une vidéo virale sur les réseaux sociaux, un chef de gang a déclaré : « Nous ne voyageons pas. Nous ne sortons pas. Les minutions sont parvenues jusqu’à nous ». Ce que Nesly Fleurisca, juriste a essayé d’expliquer en ces termes : « C’est le trafic d’armes qui nous permet d’arriver à cet effondrement de la nation. Les hommes politiques arment les leaders des quartiers populaires pour la prise du pouvoir. Et après, ces leaders de zones deviennent de puissants chefs de gang, incontrôlables, redoutables et violents. »
On se le rappelle, plusieurs saisies de cargaison d’armes et de munitions par des agents douaniers dans divers ports du pays. Le 14 Juillet 2022, les agents douaniers ont saisi dans un conteneur destiné à l’Eglise épiscopale d’Haïti : 14646 cartouches, 140 chargeurs, 18 armes de guerres, 4 pistolet de calibre 9 mm et un viseur. Sans doute, l’affaire du siècle.
Cela ne s’arrête pas là. Le 2 septembre 2022, les douaniers de Port de Paix ont saisi 7 pistolets, des minutions et des chargeurs. Le 5 avril 2024, au Cap Haïtien, les douaniers ont saisi également 12 fusils d’assaut, 14 pistolets, 34 chargeurs et 999 cartouches. Malgré toutes ces saisies, les gangs armés ne manquent jamais de minutions. Quand ils décident, ils font parler la poudre.
Toutes les cargaisons saisies viennent des Etats Unis. Sans nul doute, elles ont été achetées, emballées, enregistrées et embarquées à destination d’Haïti sous l’œil passif des forces de l’ordre des Etats Unis.
Perspectives pour s’en sortir
Beaucoup d’autres nations ont connu une situation similaire, mais elles ont fini par émerger. Bien que toutes nos voies semblent obstruées, pourtant un grain d’espoir germe dans le cœur de plus d’un.
Tout en souriant, on peut lire l’espoir sur le visage de ce jeune homme qui espère un changement « Je suis confiant que cela va changer dans un laps de temps. Cette situation ne restera pas pour toujours, le pays sera sur la voie de développement sous peu », entrevoit Michelet Baptiste, étudiant finissant en Sciences Juridiques.
« Nous devons premièrement passer par une prise de conscience individuelle et collective. Ensuite, l’Etat doit prendre ses responsabilités pour réconcilier les filles et fils de la nation entre eux », a déclaré d’un air confiant le révérend pasteur Jean Marie Neptune, professeur à l’université tout en rappelant que la tragédie d’aujourd’hui est la conséquence de nos choix électoraux, de la mauvaise gestion des ressources du pays et de la mauvaise gouvernance.
Le juriste cinquantenaire pense « qu’il incombe à l’Etat de fortifier les institutions comme la Police nationale d’Haïti, les Forces armées et la justice en ses différentes ramifications pour qu’elles puissent jouer leur rôle en bonne et due forme».
Depuis ce 29 Février, ces hommes armés prônent une révolution dont la principale victime demeure la population. Voulant à tout prix faire partie de la solution, ils ne comptent pas déposer les armes. Entre-temps, plusieurs propositions sont sur la table : conseil présidentiel de 3 membres, conseil présidentiel de 9 membres, juge à la Cour de cassation. Lequel d’entre eux pourraient arriver à prendre des mesures significatives et prometteuses ? Laquelle de ces propositions ou de ces positions sera en faveur du commun des mortels ? À un moment où la population ne sait à quel saint se vouer, les protagonistes ne décident pas de mettre de côté leur ego surdimensionné pour une solution durable.
Mackenlove Hyacinthe
Vant Bèf Info (VBI)