Haïti/Justice : Viol, le crime silencieux !
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Une fillette de 14 ans est violée, le samedi 12 octobre 2019, à l’intérieur du commissariat de police d’Anse-d’Hainault. L’auteur présumé de cet acte est François Dieulison, agé de 22 ans. Il est un fonctionnaire civil de la police qui travaille comme ménager sur les lieux du drame. Il aurait bénéficié de la complicité d’un agent de police, Emmery Remarais. Les cas de viol sont très répétés dans cette commune du département de la Grand’Anse d’Haïti.
Anse-d’Hainault, le mercredi 16 octobre 2019.- « Ma mère m’a envoyé au marché pour faire des emplettes. Je passais devant le commissariat de police, François Dieulison m’a interpelé. Je me suis arrêtée, pensant qu’il allait me confier un message pour ma mère. Il m’a, plutôt, invité à y entrer. J’ai refusé, » raconte Melissa*, née le 3 février 2005, âgée de 14 ans, les yeux embués de larmes, le visage abattu.
« Puis, Emmery Remarais, le policier de service ce jour-là, m’a dit : Sa ki genyen ou pè rantre a ? Nou se dyab ! (Traduction française : Pourquoi as-tu peur d’entrer ? Sommes-nous des sorciers ici). C’est alors que Dieulison m’a agrippé le bras et entraîné à l’intérieur du commissariat. Il a, ensuite, soulevé ma robe, arraché ma culotte et m’a violé. J’ai lutté ! J’ai hurlé ! Le policier présent est resté inactif« , se lamente Melissa*, d’une voix tremblotante laissant transpirer le spectre de ce traumatisme.
Le viol est perpétré, au début de l’après-midi du samedi 12 octobre 2019, confirme la mère de la victime, petite commerçante et mère de 9 enfants.
« J’ai vu Mélissa revenir à la maison, les vêtements froissés et le corps mouillé. C’était étrange ! Quand je lui ai demandé des explications sur son état, elle m’a tout raconté. J’étais déboussolée ! » déclare la mère de la victime.
Elle a, par ailleurs, expliqué que le présumé violeur Dieulison a tabassé sa fille après l’avoir violée. « Melissa di m, lè misye finn vyole l la, li di l, mwen pral di manman m sa. Misye ba l yon sèl kou nan tèt, li endispoze. Se dlo misye a voye sou li, pou fè l revini. » (traduction : Melissa m’a dit, qu’elle avait dit à son bourreau qu’elle allait tout me raconter. Le monsieur lui a asséné un coup sur la tête et elle s’est évanouie. Il a dû, ensuite, verser de l’eau sur elle pour qu’elle reprenne connaissance’’ raconte cette femme, la voix quasi aphone, sous le poids de l’émotion.
Elle a indiqué avoir porté plainte au tribunal de paix d’Anse-d’Hainault qui a transféré le dossier au Parquet près le tribunal de première instance de Jérémie malgré, dit-elle, n’avoir pas les moyens pour se payer les services d’un avocat. Elle espère tout de même trouver justice et réparation. « Ma fille est victime dans un espace où elle devrait se sentir en sécurité », se plaint-elle.
Le présumé violeur passe aux aveux !
François Dieulison alias Dady, âgé de 22 ans, travaille au commissariat de police d’Anse-d’Hainault comme ménager, depuis environ un an. On l’appelle « Ti Polisye », (Petit Policier). Il a essayé de s’enfuir quand il a appris qu’un mandat d’amener était émis contre lui. La Police a eu le temps de l’intercepter vers deux (2) heures de l’après-midi, le lundi 14 octobre 2019, au carrefour dénommé « Bak » (Back), à l’entrée de la ville de Jérémie. L’opération a été conduite par l’inspecteur Louines Louisillant, responsable adjoint du Commissariat de Police d »Anse-d’Hainault
Lors de son interrogation par les enquêteurs de la Section Départementale de la Police Judiciaire (SDPJ), il a avoué être l’auteur du crime qu’il a tenté de justifier du fait que la jeune fille aurait déjà couché avec un autre garçon de la commune
Le parquet a émis un mandat de dépôt contre François Dieulison. Il est pour le moment enfermé à la prison civile de Jérémie. Les parents de la victime ont été auditionnés ce mercredi 16 octobre 2019, au Parquet, par le Substitut Commissaire du Gouvernement, Me. Renold Pétion. Ce dernier a transféré le dossier au cabinet d’instruction.
782 cas de viol enregistrés dans l’Ouest et la Grand’Anse, selon la SOFA
Beaucoup de cas de viol sont recensés dans la Grand’Anse. Les informations fournies par Gérald Guillaume, Coordonnateur de l’Initiative Départementale Contre la Traite et le Trafic des Enfants (IDETTE) font état de 103 cas de viol sur mineures enregistrés pour l’année 2018, dans ce département. IDETTE a été la première à répertorier ce cas de viol. Gérald Guillaume affirme que les communes d’Anse-d’Hainault et de Beaumond, sont considérées comme des « zones rouges »; dans les cas de viol.
Il a souligné le cas récent d’une fillette de 13 ans tombée enceinte suite à un viol. Le présumé violeur n’a pas été jugé. Les avocats ont négocié un montant de 200 000 (deux cents mille) Gourdes avec les parents pour clore le dossier. Il a aussi rappelé l’affaire du Pasteur Onold Petit qui aurait violé une mineure de 14 ans, dans la localité de Grand Vincent, deuxième section communale des Roseaux. La victime est tombée enceinte, puis a mis au monde son enfant. Le test de paternité postnatal a révélé qu’Onold Petit en était bien le père biologique.
En outre, Gérald Guillaume déplore le temps de traitement des dossiers juridiques liés aux viols qui, selon lui, paraît trop long. « Une personne accusée de viol peut être jugée après deux ans d’emprisonnement et plus. Quand le moment du jugement arrive, l’opinion publique a déjà oublié ce dossier. Ce qui laisse la place à toute manœuvre déloyale contre les victimes’’, conclut le responsable de l’IDETTE.
Pour sa part, la coordonnatrice générale de la SOFA, Solidarite Fanm Ayisyèn (Solidarité des Femmes Haitiennes) Sabine Lamour a fait savoir que sa structure a enregistré d’Octobre 2016 à Octobre 2017, 782 cas de viol déclarés sur femmes et filles, dans les départements de l’Ouest et la Grand’Anse. Les dernières statistiques n’étant pas encore disponibles.
Les failles du système judiciaire
Me Samuel Madistin, spécialiste en droit pénal, a fait savoir que la législation haitienne qualifie le viol de crime. Le code pénal en vigueur, en ses articles 278, 279 et 280, prévoit une peine de 10 ans d’emprisonnement pour viol. Toutefois, si la victime est mineure, c’est-à-dire si elle a moins de 15 ans, la peine est de 15 ans de travaux forcés.
« Si le crime de viol est assorti de circonstances aggravantes, telles le viol collectif ou si le violeur a autorité sur la victime, la peine maximale est la prison à perpétuité, soutient Me. Madistin.
L’homme de loi a aussi mentionné les difficultés à établir le crime de viol. « Le viol, s’il n’y a pas de témoins ou des éléments matériels, est difficile à prouver. C’est la parole de la présumée victime contre celle de la personne qui aurait commis l’acte. C’est pourquoi le certificat médical est un élément très très important dans le cadre d’un jugement pour cette infraction », poursuit le spécialiste en droit pénal qui encourage les victimes à se rendre à l’hôpital dans les 72 heures qui suivent le viol pour l’obtention d’un certificat médical.
Me. Samuel Madistin évoque aussi la crainte des victimes à porter plainte par rapport à certaines perceptions sociales qui tendent à culpabiliser les victimes au profit des bourreaux. Les victimes, selon lui, ont peur d’être humiliées, rejetées et stigmatisées par la société. « La question de corruption qui gangrène le système judiciaire, la justice vendue aux plus offrants, sont, entre autres, éléments qui découragent les victimes à porter plainte car, sachant qu’apriori c’est peine perdue’’, conclut Me. Madistin.
Aucune mesure conservatoire contre le policier complice
L’inspecteur Général en Chef de la Police Nationale d’Haïti, Ralph Stanley Jean Brice, a fait savoir que des instructions ont été passées au Directeur départemental de police de la Grand’Anse afin de diligenter une enquête et d’entamer les procédures disciplinaires au cas où le policier, cité par Melissa, serait complice de ce crime.
Le Directeur Départemental de Police de la Grand’Anse, Ralph Dominique a confirmé que l’enquête est en cours et que le policier présumé complice est à la disposition des enquêteurs de la Section Départementale de la Police Judiciaire (SDPJ) de la Grand’Anse. Ralph Dominique n’a pas voulu parler de complicité de l’agent dans le cas de viol mais souligné de préférence « une attitude équivoque ». Selon lui, le policier a déclaré aux inspecteurs n’avoir pas entendu les cris de la victime. Cependant, aucune mesure conservatoire n’a pas (encore) été prise contre le policier qui reste à la disposition des enquêteurs, souligne le Commissaire Dominique.
Ruben Dumont
Journaliste d’Investigation
- Melissa, nom d’emprunt pour préserver l’identité de la victime
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