Analyse : Regard Juridique sur le droit de propriété

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Il n’y a que la possession qui garantit le droit de propriété

Article soumis à l’agence en ligne VBI par
Me Bladimir Zamy, Avocat au barreau de Port-au-Prince
Spécialiste en droit de l’immobilier, construction et urbanisme
bzamy2005@yahoo.fr

Le droit des biens, base du droit patrimonial, qui étudie les biens immobiliers, mobiliers et incorporels, est une des branches du droit civil qui touche tout sujet de droit à côté du droit des obligations. Son objectif principal est d’étudier les relations des personnes aux biens.
Il faut avant tout comprendre la notion de bien. Elle implique tout ce qui a une valeur patrimoniale c’est-à-dire estimable en espèces. C’est aussi une chose dont on dispose, sur laquelle il est possible d’exercer un droit réel par son appropriation matérielle. Le droit réel suppose la relation entre une personne et une chose ce qui s’oppose au droit personnel supposant une relation entre deux personnes ayant un lien juridique. Par conséquent pour être un bien, la chose doit être appropriable. La raison de cette distinction est la suivante : il existe des choses non appropriables ou encore appelées choses communes (par exemple l’air) sur lesquelles personne ne peut exercer une quelconque volonté d’en devenir maître. L’intérêt de soustraire certaines choses à l’appropriation se résout à en réserver l’usage à tous. Il est aussi nécessaire de mentionner les droits réels accessoires pour les biens incorporels qui ne sont pas appropriables du fait de leur non tangibilité c’est-à-dire qui n’est pas perceptible par le toucher par exemple une créance, un brevet etc.

C’est donc cette notion d’appropriation qui permet d’établir un lien avec une personne pour transformer cette chose en “bien”. C’est de là que l’exercice du droit réel se manifeste soit en qualité de propriétaire ou possesseur, soit en qualité de propriétaire-possesseur (coïncidence de la propriété et de la possession) de ce bien corporel. Pour les civilistes de manière générale, la propriété étant le droit, la possession est un fait. Pour eux le droit de propriété est le droit qui permet l’exercice par excellence, plein et entier du droit réel avec le droit de disposition qu’il contient c’est-à-dire le droit qui permet au propriétaire de vendre ce bien tandis que la possession est un fait qui entraîne seulement la détention de la chose sur laquelle le possesseur exerce un pouvoir matériel et une jouissance sans pouvoir le vendre. L’on s’en tient dans ce cas à la théorie objective liée au corpus du bien c’est-à-dire sur sa maîtrise matérielle, physique.

Mais qu’en est-il de la possession animo domini qui est la théorie subjective développée par Friedrich Carl Von Savigny ? C’est l’intention du possesseur de se comporter comme un véritable propriétaire. C’est cette intention qui va le différencier d’un détenteur (gardien, locataire, fermier) qui n’a pas la volonté d’être titulaire d’un droit réel. Donc le vrai possesseur doit non seulement avoir l’emprise physique sur la chose mais aussi être animé de l’esprit d’agir en maître de celle-ci. Il ne faut jamais oublier qu’un possesseur pour autrui ne doit pas être animé de l’animus dominus car sa possession ne sera jamais utile quelle que soit sa durée.

Aussi, il revient à dire que la possession n’est pas un fait anodin mais plutôt un fait juridique qui produit des effets. Dans le cadre de cet article, la possession pour autrui et la détention seront écartées car elles ne peuvent pas conduire à la prescription. Cette dernière représente la durée au-delà de laquelle une action en justice n’est plus recevable mais est également un mode légal d’acquisition et d’extinction d’un droit. Il existe plusieurs niveaux de prescription mais nous nous cantonnons ici à la prescription acquisitive appelée aussi usucapion qui peut être revendiquée après une période de vingt ans. Ainsi sera analysée une action en revendication de droit de propriété contre un possesseur qui brandit la prescription acquisitive.

-Intenter une action en revendication de propriété
Soulignons que pour ester en justice trois conditions sont nécessaires : avoir le droit, l’intérêt et la qualité. Pour une action en revendication de propriété qui est une action pétitoire c’est-à-dire ne pouvant pas être intentée par devant les Tribunaux de Paix, il faut avoir, pour l’exercer, la qualité de propriétaire c’est-à-dire avoir au moins la nue-propriété en absence de l’usufruit. De ce fait cette qualité peut être établie par acte, titre d’acquisition sous seing privé ou authentique par devant notaire. L’enregistrement et la transcription de ces actes à la Direction Générale des Impôts (DGI) leur donne date certaine. Ce qui peut faire foi et permettre de concourir contre un autre acte de même rang.

Dans notre culture, la façon la plus fiable de s’assurer de sa qualité de propriétaire est d’avoir notre titre authentique (papye tè dans notre vernaculaire) bien caché au fond de notre malle même quand on n’est pas en possession. C’est bien d’avoir son titre mais sans la possession vous pouvez être frappé par la prescription extinctive de droit c’est-à-dire de forclusion après vingt ans sans être en possession. Cette extinction de droit va donner naissance à un autre droit au profit du possesseur qui arrive à prouver sa prescription acquisitive sur vingt ans et plus.

-Établir la prescription acquisitive

En tout premier lieu la personne doit être de bonne foi pour prescrire et ne pas être un détenteur (gardien, locataire, fermier). Pour établir la prescription, le possesseur doit prouver que sa possession est continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriété pour justifier l’animus. Ainsi on doit comprendre que l’emprise physique exercée sur la chose doit être prolongée et sans discontinuité, sans trouble et violence pour une jouissance paisible, sue et vue de tous pour son caractère public et afin élucider toute ambiguïté sur l’agissement du possesseur afin d’éviter tout obstacle à l’utilité de la possession. L’établissement des caractéristiques peut se faire par l’enquête de voisinage, constat de possession d’un juge de paix et la preuve du début de la possession par des actes juridiques en qualité de maître comme le paiement de taxes foncières ou de factures de services publics (EDH, CAMEP etc.) en son nom, avoir la qualité de bailleur au-delà de vingt ans, avoir un acte d’arpentage provisionnel etc.

La prescription acquisitive face à un titre authentique, enregistré et transcrit
Le propriétaire qui a un titre authentique, enregistré et transcrit qui n’est jamais en possession est en danger. La possession est tellement importante que dans l’acte authentique rédigé par le notaire, une historique est faite pour montrer non seulement qui étaient les précédents propriétaires mais aussi pour remonter aux possessions antérieures jusqu’à vingt ans au moins sans trouble. La notion de possession, la domination physique, tient une place prépondérante au point de dire qu’en matière de meuble « possession vaut titre » sauf pour les meubles immatriculés. Ainsi l’on se demande est ce qu’en matière immobilière une possession utile égale à l’usucapion n’a pas la même force ? Car le possesseur qui occupe un terrain de bonne foi et agit avec l’intention de maître peut évincer le propriétaire titulaire d’un titre authentique, transcrit et enregistré en établissant sa prescription acquisitive. De plus la charge de la preuve ne lui est pas imcombée. La possession a tellement de force que si on analyse bien l’article 29 « Avant la passation de tous actes, les Notaires doivent rechercher si toutes les conditions de fait et de droit, nécessaires à leur validité, sont réunies ou non » du décret-loi du 27 novembre 1969 sur le notariat on doit comprendre que si les conditions de fait dans ce cas qui est la possession ne sont pas réunies le notaire ne doit passer aucun acte même en présence de titre authentique. Après toutes ces considérations, il y a donc lieu de comprendre que la possession est un fait qui prime le droit malgré le fait que la prescription acquisitive doit être entérinée par un acte authentique, après jugement définitif, qui sera lui-même incontestable tant que le précédent possesseur devenu nouveau propriétaire-possesseur garde sa possession.
Au final on comprend que c’est la possession qui garantit la propriété. Mais les fermiers de l‘État, qui respectent les échéanciers et les règles menant à l’acquisition définitive en exerçant son droit de préemption après 5 ans sur le lot concerné, sont en principe protégés et exempts de tous troubles de droit sauf en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique.
Mais que dire des propriétaires dépossédés par les gangs armés ?