Vivre avec la peur au ventre, sous les balles perdues

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Dans la cour de sa maison, alors qu’elle donnait à manger à ses animaux, Mme Jeanty s’est effondrée. Une douleur vive à la jambe, un cri, du sang. Elle n’avait rien vu venir. « Je ne peux même pas expliquer cette tragédie », confie-t-elle, la voix tremblante. La balle n’était pas pour elle, mais elle l’a atteinte quand même. À Delmas 31, comme ailleurs à Port-au-Prince, les balles perdues ne demandent pas la permission.

Port-au-Prince, le 5 avril 2025 –Chaque jour, elles fendent l’air, frappent au hasard, bouleversent des vies. En janvier, un enfant de 8 ans est mort dans sa salle de classe. En mars, une marchande de fruits a été atteinte en pleine rue. En avril, c’est Mme Jeanty, chez elle. Le phénomène n’est pas nouveau, mais il prend aujourd’hui une ampleur inédite. Dans les quartiers de Delmas, Martissant, La Saline, Bel-Air, les tirs deviennent la bande-son d’un pays qui s’enfonce.

Les médecins de l’Hôpital Universitaire de Paix n’en peuvent plus. « On ne passe guère une journée sans accueillir un blessé par balle perdue », lâche l’un d’eux, las. À notre passage, plus d’une dizaine de blessés étaient alités, certains atteints alors qu’ils étaient simplement assis sur le siège d’un tap-tap ou en train de cuisiner.

Dans cette capitale sous tension, les fusillades liées aux affrontements entre gangs de la coalition « Viv ansanm » font rage. Les balles, elles, ne distinguent ni les enfants des adultes, ni les commerçants des élèves. Elles pénètrent les écoles, les maisons, les marchés. Une résidente de Delmas 32, interrogée sous anonymat, avoue qu’elle n’ose plus sortir : « Même chez moi, je ne me sens pas en sécurité. »

Et pourtant, malgré cette réalité terrifiante, aucune organisation de défense des droits humains n’a, jusqu’ici, publié de rapport officiel pour sonner l’alarme. Comme si la banalisation de la violence avait fini par anesthésier les consciences.

Ce fléau révèle une vérité plus grande : l’effondrement progressif de l’État haïtien. Faute de réponse efficace des autorités, des milliers de familles abandonnent leurs maisons pour se réfugier dans des écoles transformées en abris. Dans certains quartiers, les gangs sont les seuls à faire « régner l’ordre », imposant leur loi, leurs armes et leur silence.

Haïti suffoque, et son peuple survit au jour le jour, sans garantie que demain viendra. Pourtant, l’urgence est là. Elle crie dans les rues de Port-au-Prince. Elle saigne dans les hôpitaux. Elle réclame une réponse. Car tant que les balles continueront de choisir au hasard, personne ne pourra prétendre être vraiment vivant.

Jean Gilles Désinord
Vant Bèf Info (VBI)

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