Légitimité de l’Allocation Budgétaire au Parlement Haïtien : Entre Exigence Constitutionnelle, Continuité Administrative et Nécessité de Relocalisation Institutionnelle

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Résumé :
Dans un contexte de crise institutionnelle et sécuritaire sans précédent, l’allocation budgétaire accordée au Parlement haïtien pour l’exercice 2024-2025, bien qu’il soit inopérant et sans siège physique fonctionnel, peut paraître paradoxale. Pourtant, cette décision est juridiquement fondée, administrativement nécessaire et politiquement stratégique. Loin d’être un gaspillage, elle répond à une logique de sauvegarde de l’appareil étatique, de préparation à la relance de la vie parlementaire et de réaffirmation de l’existence légale d’une institution constitutionnelle majeure.

Introduction
Le 14 avril 2025, le gouvernement haïtien a adopté un budget national rectificatif dans un contexte d’urgence, marqué par l’effondrement sécuritaire provoqué par les gangs armés qui contrôlent une partie significative de la capitale, Port-au-Prince. Ce budget inclut une allocation pour le Parlement haïtien, malgré l’absence d’activités législatives effectives et de locaux institutionnels fonctionnels. Cette décision soulève des débats dans l’opinion publique. Pourtant, elle s’inscrit dans une dynamique légale, administrative et stratégique de préservation de l’État de droit et de projection vers la reconstruction institutionnelle.
I. Une institution sans siège mais toujours constitutionnelle
Le Parlement haïtien ne dispose actuellement d’aucun bâtiment fonctionnel pour exercer ses activités. Le Palais Législatif, sérieusement endommagé après le tremblement de terre de 2010, n’a jamais été totalement reconstruit. Les derniers sénateurs en exercice, jusqu’en janvier 2023, opéraient dans des espaces provisoires. Aujourd’hui, l’institution n’a ni élus, ni siège formel, ni structure opérationnelle visible. Toutefois, cette absence physique n’annule en rien sa légitimité constitutionnelle.
La Constitution haïtienne de 1987, toujours en vigueur, établit le Parlement comme un organe fondamental de l’État (articles 59 à 111). Aucune disposition ne permet son effacement du paysage institutionnel, même en période de vacance totale des sièges. Ainsi, son existence juridique subsiste, et l’État a le devoir de préserver cette entité, ne serait-ce que pour anticiper sa relance.
II. Une allocation budgétaire tournée vers la relocalisation et la reconstruction
Dans un contexte où de nombreuses institutions publiques ont été contraintes de se délocaliser pour des raisons de sécurité — comme la Cour de Cassation, des ministères et même des directions générales —, il est légitime que le Parlement bénéficie des ressources nécessaires à sa relocalisation temporaire, voire à la recherche d’un site sécurisé pour reprendre ses fonctions.
L’allocation budgétaire ne devrait donc pas être perçue uniquement comme un financement de fonctionnement courant, mais comme un levier de reconstruction administrative : identification d’un site temporaire, réhabilitation d’espaces, acquisition de matériel de travail, mobilisation de personnel administratif, reconstitution des archives et planification du redémarrage des activités parlementaires.
III. La continuité administrative et la protection des agents permanents
Le Parlement, même sans parlementaires, conserve un personnel administratif permanent : techniciens, archivistes, juristes, comptables, agents d’entretien, cadres de direction. Ces employés relèvent souvent de la fonction publique d’État. L’interruption de leur rémunération ou la fermeture de leur structure d’affectation créerait un précédent grave de rupture du lien institutionnel entre l’État et ses fonctionnaires, mettant en péril les fondements mêmes de l’administration publique.
Le budget alloué permet également de conserver les ressources humaines qualifiées prêtes à relancer l’institution dès que le contexte le permettra. Il est à ce titre un instrument de stabilité et de gestion prévisionnelle.
IV. La nécessité stratégique de préserver l’architecture institutionnelle
Haïti traverse une phase de transition politique critique. La mise en place du Conseil Présidentiel de transition et l’annonce de futures élections impliquent nécessairement une restauration du pouvoir législatif. Dans cette optique, maintenir le Parlement comme entité budgétaire est une décision stratégique. C’est affirmer que l’État n’abandonne pas ses institutions fondamentales malgré les circonstances.
L’argument de l’inutilité budgétaire tombe dès lors que l’on comprend qu’un Parlement sans bâtiment peut être relocalisé, qu’un Parlement sans élus peut se reconstruire, mais qu’un Parlement sans budget est un Parlement condamné à disparaître.
Conclusion
L’allocation budgétaire accordée au Parlement haïtien en 2025 est un acte de prudence, de responsabilité et de vision. Elle permet de préserver une institution constitutionnelle, de garantir les droits de ses agents permanents, de préparer sa relocalisation dans un contexte de décentralisation forcée et d’anticiper la reprise démocratique. Le Parlement, bien qu’inopérant sur le plan législatif, n’est pas mort juridiquement. Et l’État, garant des institutions, se doit de lui offrir les moyens de sa résilience.
Références
• Constitution de la République d’Haïti, 1987.
• Ministère de l’Économie et des Finances. (2025). Budget rectificatif 2024-2025 approuvé en Conseil des Ministres. www.mef.gouv.ht
• Direction Générale du Budget. (2025). Présentation du Budget 2024-2025. www.budget.gouv.ht
• Reuters. (14 avril 2025). Haiti approves “war-time” budget as gangs wreak havoc. www.reuters.com
• Le Nouvelliste. (2023-2025). Série d’articles sur la crise institutionnelle et la désaffectation des bâtiments publics. www.lenouvelliste.com
Schwagger BEAUVIL
Entrepreneur et Masterant en GRH