Quand les funérailles deviennent des activités festives en Haïti
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En Haïti, les funérailles, autrefois empreintes de recueillement et de solidarité, connaissent une transformation inquiétante. Elles tendent à devenir des festivités bruyantes, parfois grotesques, où les valeurs traditionnelles et culturelles semblent reléguées au second plan. Cette évolution suscite l’indignation de nombreux citoyens qui y voient un affront aux coutumes ancestrales.
Port-au-Prince, vendredi 3 janvier 2025.
Une tradition en voie de disparition
Autrefois, la perte d’un être cher était un moment de douleur partagée. Les voisins s’unissaient pour soutenir la famille endeuillée, que ce soit en apportant des vivres, en aidant aux préparatifs ou simplement en offrant leur présence. Cette solidarité communautaire, qualifiée de mécanique par la sociologue Gaëlle Clavandier dans son ouvrage La Mort collective, renforçait les liens sociaux.
Aujourd’hui, cette tradition est en déclin. La mort, autrefois respectée, devient un prétexte à des comportements déconcertants. Des scènes de danse, de chants vulgaires, voire d’imitations moqueuses du défunt, remplacent le recueillement. Une situation qui, selon les observateurs, trahit les valeurs héritées des ancêtres.
Des constats troublants et des témoignages édifiants
Ces pratiques s’étendent désormais de la capitale aux villes de province. Sur les réseaux sociaux, des vidéos tournent en boucle, montrant des cortèges funèbres transformés en carnavals improvisés. À Delmas 75, sur la route de Puits Blain, un homme déguisé en femme, coiffé d’une perruque, mène une procession en chantant et dansant. Interrogé sur son comportement, il ironise :
Je suis là pour lui rendre hommage. Il a vécu sa vie, il a tout fait avec les dames. Il devait déjà partir.
Cette déclaration vise un vieillard de 75 ans, décrit par le protagoniste comme un pédophile.
Dans le Nord, à Cap-Haïtien, des jeunes adoptent des comportements similaires. Ils célèbrent la mort d’un homme en le qualifiant de « malfaiteur » tout en paradant avec éclat sur les routes, leurs rires résonnant haut et fort.
Ces scènes, relayées par les médias sociaux, alimentent des débats houleux dans les milieux académiques. À l’Université d’État d’Haïti (UEH), des étudiants et professeurs dénoncent une dérive culturelle alarmante.
Un peuple qui oublie sa culture est condamné à vivre l’impossible », déclare un professeur de la Faculté d’Ethnologie préférant garder l’anonymat.
Un appel à la sensibilisation
Face à ce phénomène, des voix s’élèvent pour rappeler l’importance du respect des morts. À Gonaïves, Rogé, surnommé Anperè Rogé , houngan reconnu, exhorte la jeunesse à revenir à ses racines.
Les morts jouent un rôle fondamental dans notre culture. Il est impensable de les banaliser ou de les moquer, souligne-t-il.
Il appelle les jeunes à renouer avec les valeurs haïtiennes, qu’il qualifie d’uniques, et à faire preuve de respect envers les défunts pour préserver l’identité culturelle du pays.
Jean Gilles Désinord
Vant Bèf Info (VBI)