L’insécurité, véritable coup de massue pour le secteur économique haïtien, en particulier l’emploi
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Le pays est durement frappé par un contrecoup économique suite à la remontée spectaculaire des actes de violence dans la capitale haïtienne. En pleine crise économique traduite notamment par une inflation et une crise alimentaire à l’origine d’une famine. Cette situation d’insécurité aiguë engendre un taux de chômage sans précédent, un autre indicateur qui accroît davantage la fragilité de l’économie nationale.
Port-au-Prince, 12 avril 2024.- Port-au-Prince, étant considéré comme le poumon de l’économie nationale, fait face depuis plusieurs semaines à une situation chaotique engendrée par les groupes armés qui y règnent en maître et seigneur. Ils ont mis la capitale haïtienne sur mode pause. Les truands ont pillé des entreprises, des banques commerciales, des écoles même les petits commerces ont subi la loi de ces bandes criminelles qui ont même mis le feu à certains d’entre eux.
L’insécurité affecte tous les secteurs d’activités de l’économie haïtienne
L’économie est affectée de manière significative par rapport à la conjoncture actuelle, selon l’Institut haïtien de statistique et d’informatique (IHSI), l’indice général des Prix à la consommation (IPC, 100 en 2017-2018) qui se chiffrait à 362.5 en janvier est passé à 373.6 en février 2024, a enregistré une forte hausse en rythme mensuel de +3,1% en février contre 1,1% le mois précédent. En glissement annuel, l’inflation se chiffre maintenant à 23,0% en février 2024 contre 20,9% le mois précédent. Déjà l’année dernière, l’économie nationale avait enregistré une croissance négative -0,9%, marquant une cinquième année consécutive de croissance négative, ce chiffre risque de décroître davantage cette année ceci pour une sixième année consécutive. Une très grande première dans l’histoire du peuple haïtien.
« À la deuxième moitié de l’exercice fiscal 2023-2024, rien ne fonctionne, des entreprises ont fermé leurs portes, d’autres sont pillées ou incendiées c’est un désastre pour une économie déjà fragilisée. La crise actuelle aura évidemment des impacts majeurs », selon les prévisions de l’économiste Enomy Germain.
La libre circulation de personnes et de marchandises est très difficile en ce moment. Le cultivateur évoluant généralement dans les villes de province a du mal à alimenter la capitale. Les produits deviennent rares et donc très chers. Les « madan Sara » ou petits commerçants, et les ouvriers du secteur textile ou agricole entre autres sont aux abois. Ils sont tous très affectés par la situation catastrophique prévalant dans le pays.
Des salariés à chômeur
Avoisinant la trentaine, Jules est enseignant. Il enseigne les sciences sociales dans plusieurs écoles privées et publiques de la capitale, depuis plus d’une dizaine d’années. Le jeune prof est une des victimes de cette situation alarmante. Car, deux des écoles où il travaillait ont subi la fureur des gangs armés : l’une a été pillée et l’autre incendiée.
« Quand on est professeur on vit par ce qu’on appelle une économie de combinaison. Donc perdre deux contrats avec deux écoles, c’est dur. Je suis désormais au chômage. Mon revenu n’a pas diminué, il a est complètement disparu », nous confie Jules les yeux fatigués.
Aucun secteur n’est épargné, ils sont tous frappés de plein fouet par cette situation. Emmelie, est journaliste et vivait jusque-là de son métier. Elle vient d’agrandir la liste des chômeurs depuis le mois de mars. En effet, le média pour lequel elle travaille l’a mise en disponibilité sans solde en raison de la conjoncture. Le média a du mal à payer tous ses employés et n’a donc décidé d’en garder que quelques-uns.
« Le responsable m’a informée que le média a perdu 60% de son contrat publicitaire, puisque les entreprises ont subi les conséquences de la violence armée qui secoue la capitale », précise la consœur.
Commerce, industrie et agriculture : les plus touchés
La population est fortement touchée par la cherté de la vie, particulièrement de la hausse des prix des produits de première nécessité, de la rareté récurrente du carburant, en l’absence totale des mesures institutionnelles appropriées. Les services sociaux de base, non pris en charge par l’État, subissent également les effets de la hausse du dollar américain par rapport à la gourde, ou encore de l’effet du taux de change et d’une inflation galopante. L’absence d’emplois et de sous-emplois, les prix élevés sur le marché national, des produits importés font déjà partie du fardeau de l’ensemble de la population.
Le taux de chômage en 2021 était de 15,7% pour la population totale. Ventilé par sexe, ce taux était de 19% pour les femmes et de 12,7% pour les hommes. Par ailleurs, 24,5 % de la population se situait en 2019 en dessous du seuil de pauvreté national, défini comme le pourcentage de la population dont le revenu est inférieur à US$ 1,90 par jour ; ce pourcentage est supérieur à la moyenne régionale qui se situe à 3 %.
En Haïti, après quatre décennies de régression économique, dont deux avec comme toile de fond la crise socio-politique, près de 2 millions de personnes sont touchées par le chômage et le sous-emploi. La situation s’aggrave du fait que, de ce nombre, 1.5 millions sont des jeunes de 18 à 35 ans, soit trois chômeurs sur quatre ou près de 40% de la population en âge de travailler, ce qui constitue un coût humain extrêmement élevé pour la nation.
L’évolution prévisible de ces phénomènes, dans l’éventualité d’un pourrissement de la crise socio-politico-institutionnelle haïtienne et du maintien du statu quo quant à l’absence d’une politique économique claire et opportune de promotion de l’investissement, de la production et de l’emploi, sera tout simplement catastrophique et provoquera une profonde détresse dans le corps social dans les prochaines années.
Mederson Alcindor
Vant Bèf Info (VBI)