L’illettrisme médiatique à l’ère de l’intelligence artificielle : Compétences informatiques et IA (2/3)

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Dans cette seconde partie de notre entretien avec Patrick Attié, directeur général de l’École supérieure d’infotronique d’Haïti (ESIH), nous explorons les implications des intelligences artificielles génératives sur le paysage éducatif et professionnel. Alors que ces technologies redéfinissent la nature des compétences requises dans divers métiers, Patrick Attié souligne l’importance de l’adaptation et de l’anticipation pour les jeunes en formation. De plus, il met en lumière un paradoxe inquiétant : malgré un haut niveau d’éducation, certaines régions comme l’Europe peinent à s’imposer dans le domaine de l’IA, tandis que les États-Unis prennent une avance décisive.

Port-au-Prince, le 11 août 2024.

VBI : Est-il impératif d’avoir des compétences en informatique pour renforcer la capacité des individus à naviguer dans un environnement médiatique complexe ?

Patrick Attié (PA) : Pas nécessairement. Aujourd’hui, il est possible d’automatiser de nombreux processus grâce aux intelligences artificielles génératives, qui sont au cœur des discussions actuelles. Comparativement aux débats sur les technologies numériques des dix dernières années, les IA génératives représentent une avancée significative.

Historiquement, la révolution industrielle a remplacé les métiers peu qualifiés par des machines, et l’ordinateur personnel ainsi qu’Internet ont ensuite automatisé des tâches dans des métiers plus qualifiés. Aujourd’hui, les IA génératives se retrouvent en compétition même avec des professions très spécialisées, telles que les médecins, les avocats et les journalistes. Bien que ces technologies ne remplacent pas encore complètement les humains, elles changent profondément les métiers qualifiés, et cette transition pourrait durer des années, voire des décennies.

Ainsi, il est important pour les individus de se préparer à cette évolution. Les étudiants d’aujourd’hui doivent réfléchir à la pertinence de leurs futures carrières face à la montée en puissance des IA. Par exemple, des IA spécialisées en médecine peuvent déjà surpasser les experts humains dans certains diagnostics, et dans le domaine juridique, elles réalisent des tâches avec une efficacité croissante.

Il est crucial pour ceux qui se lancent dans des études ou une carrière de considérer l’impact des nouvelles technologies, notamment des IA génératives. Ces technologies ne se limitent pas aux logiciels traditionnels ou aux réseaux sociaux ; elles représentent le futur de l’innovation technologique. Par conséquent, il est essentiel d’intégrer ces enjeux dès maintenant dans la conception des parcours éducatifs et professionnels.

Lire aussi: L’illettrisme médiatique à l’ère de l’intelligence artificielle : perspectives et solutions avec Patrick Attié (Partie 1/3)

VBI : Est-ce qu’une personne ayant un niveau de maîtrise ou un doctorat peut être illettrée médiatiquement ?

PA : Absolument ! D’ailleurs, on peut observer des différences à travers le monde. Prenez les États-Unis et l’Europe, par exemple. Aujourd’hui, plus de 90 % de l’écosystème des intelligences artificielles génératives est littéralement créé aux États-Unis. En France, par exemple, la seule entreprise qui se distingue dans ce domaine est Mistral, une start-up française qui, bien qu’elle ait grandi, est financée à plus de 80 % par des capitaux américains. Elle est hébergée sur le cloud de Microsoft, ce qui la rend de moins en moins française, mis à part ses fondateurs qui, eux-mêmes, ont travaillé chez Google avant.

Pour rivaliser avec les grands acteurs du secteur, il faut investir des milliards de dollars. Cet argent est beaucoup plus difficile à trouver en Europe qu’aux États-Unis. C’est ici que se situe le paradoxe : l’Europe n’a rien à envier à personne en termes de qualité d’éducation, de chercheurs, ou d’ingénieurs. Pourtant, ces talents, bien que formés en Europe, finissent par partir à l’étranger, notamment aux États-Unis, dès que leurs start-ups deviennent importantes.

Ceci démontre que même des personnes parfaitement éduquées en Europe, où l’on ne peut pas dire que les populations manquent d’instruction, ne parviennent pas toujours à saisir les enjeux technologiques. Un individu peut très bien avoir un master et ne pas savoir utiliser ces nouveaux outils. Aux États-Unis, par exemple, les chercheurs universitaires sont presque obligés d’utiliser ces technologies. En France, ce n’est pas le cas, et le niveau d’utilisation des outils d’IA est bien moins avancé.

Les débats sur les risques et les limitations des IA sont nombreux, mais en Amérique du Nord, les professionnels s’empressent de maîtriser ces outils, car ils perçoivent cela comme une guerre technologique. En Europe, on préfère légiférer pour s’assurer que toutes les balises sont en place avant de se lancer pleinement sur le marché. Résultat : le nombre de start-ups importantes dans ce domaine en Europe est très limité, alors qu’aux États-Unis, c’est tout l’inverse. C’est inquiétant pour une région qui excelle dans la recherche et l’éducation.

Enfin, bien que les IA génératives puissent combler le fossé numérique et aider les jeunes issus de zones défavorisées à se former de manière autonome, il faut aussi comprendre que ceux qui configurent et utilisent ces outils doivent avoir un esprit critique et une capacité intellectuelle très développée. Il ne s’agit pas uniquement de compétences techniques. Ceux qui n’ont pas développé ces capacités, que ce soit à l’école ou ailleurs, auront beaucoup de mal à faire une utilisation sophistiquée de ces technologies.

Deslande Aristilde
Vant Bèf Info (VBI)