L’économiste Thomas Lalime décrypte le rêve américain

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Suite à notre article « Le rêve américain : une aspiration universelle », nous avons initié une série d’interviews pour permettre au public d’avoir l’avis d’experts et de professionnels dans différents domaines. Le Dr en économie Thomas Lalime nous livre ses points de vue sur le sujet. « VBI » pour Vant Bèf Info et « TL » pour Thomas Lalime.

Port-au-Prince, le 6 juillet 2024.-

VBI : C’est quoi le rêve américain selon vous ?

TL : Concept très utilisé en marketing aux États-Unis dans les années 1960, le rêve américain représente aujourd’hui l’un des principaux idéaux des citoyens américains. En résumé, ce concept prône la réussite sociale et l’égalité des chances. Les dirigeants américains considèrent leur pays comme la terre des opportunités. Le rêve américain sous-tend donc que toute personne qui vit aux États-Unis, indépendamment de sa religion, de sa couleur, de ses origines, doit pouvoir réussir sa vie. L’ex-président Barack Obama en est un exemple éloquent. Bien entendu, les Américains associent cette ascension sociale à leur modèle économique libéral par excellence, le fameux capitalisme, ainsi qu’à leur système politique, la démocratie.

VBI : Pensez-vous que les fondements du rêve américain peuvent être universels, tant sur le plan personnel que collectif ?

TL : Les fondements du rêve américain sont le mérite personnel ou le talent, l’effort et la détermination. Ces trois piliers rendent possible la mobilité sociale puisque chacun peut améliorer sa condition sociale par le travail acharné. Pour y parvenir, l’État américain s’efforce d’instaurer un système méritocratique où le succès repose sur les compétences, l’effort et le mérite personnel plutôt que des privilèges de classe et de caste. Sur un plan idéologique, la réussite américaine passe par la liberté individuelle, notamment la quête du bonheur et l’autonomie financière des citoyens. Ce sont des valeurs qui dépassent les frontières américaines et qui sont épousées par des citoyens un peu partout à travers le monde. D’ailleurs, le libéralisme politique et économique n’est pas une invention américaine. Ce sont des idées jadis prônées par des philosophes, bien avant l’émergence des États-Unis comme la première puissance mondiale. Elles peuvent donc être universelles tant sur le plan individuel que collectif.

VBI : Est-il possible, personnellement ou collectivement, de vivre le rêve américain en Haïti ?

TL : Pourquoi pas ? Ce serait même souhaitable. Au lieu de chercher à imiter uniquement la démocratie américaine, il serait beaucoup plus profitable d’instaurer un système méritocratique inclusif qui permet à tous de réussir économiquement et socialement. Cela passera notamment par la mise en place d’un système éducatif qui fournit une éducation de qualité à tous, une éducation susceptible de promouvoir la mobilité sociale.

VBI : Quel est le point d’intersection entre ce concept et l’économie américaine ?

TL : Dans leur compréhension, les Américains pensent que l’économie libérale est celle qui crée le plus d’opportunités et leur permet donc plus facilement de vivre le rêve américain. Ils font la promotion de nombreux exemples en ce sens. Parmi ces exemples, on peut citer celui de la célèbre animatrice Oprah Winfrey, la fille de Vernita Lee qui était une domestique. Oprah est classée comme la personnalité afro-américaine la plus riche du XXe siècle et l’Afro-Américaine la plus philanthrope de tous les temps. Ce type d’ascension sociale constitue un vrai moteur de développement économique pour les États-Unis.

VBI : Selon vous, quels sont les clichés clés qui permettraient à un Haïtien immigré aux États-Unis d’Amérique de vivre le rêve américain ?

TL : Au lieu de parler de clichés, il faut plutôt voir les valeurs qui sont à la base du rêve américain : l’effort, la méritocratie et le dépassement de soi. Dumarsais Siméus et Wyclef Jean sont parmi deux immigrants haïtiens qui peuvent se vanter d’avoir réalisé le rêve américain. Il y en a plein d’autres. L’idée principale est que le succès est accessible à tous si l’on consent au sacrifice nécessaire.

VBI : Pensez-vous que quelqu’un peut réussir positivement en Haïti, une chose qui est contraire au narratif négatif prédominant sur le pays ?

TL : Bien sûr qu’il existe plein de personnes qui ont réussi leur vie honnêtement en Haïti. Des gens qui partaient de rien et qui ont connu un parcours à la dimension du rêve américain. On pourrait prendre le cas de l’ancien président Dumarsais Estimé, petit paysan de Verrettes qui a réalisé de grands projets comme président d’Haïti. VBI pourrait en faire toute une série.

VBI : Avons-nous besoin d’un rêve haïtien pour relancer le pays, surtout notre économie ?

TL : Les mythes et les rêves peuvent servir de catalyseur dans la quête de réussite et de mobilité sociale tant sur le plan individuel que collectif. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la relance de l’économie passe par la réussite individuelle qui mène au progrès collectif. Et le développement économique passe par la relance économique durable. Tout ce qui peut encourager la réussite est souhaitable.

Deslande Aristilde
Vant Bèf Info (VBI)