La crise à Kenscoff fait flamber les prix des légumes sur les marchés

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Depuis plusieurs semaines, la commune de Kenscoff est plongée dans une crise sans précédent, bouleversant profondément la vie quotidienne de ses habitants et fragilisant l’économie locale. Marquée par des tensions sociales et des difficultés d’approvisionnement, cette crise a provoqué une flambée inquiétante des prix des légumes, notamment dans la région métropolitaine de Port-au-Prince.

Une région agricole paralysée par l’insécurité
Kenscoff, le 12 avril 2018- Une localité réputée pour sa production de légumes frais comme la carotte, le poivron, la tomate et l’oignon, est désormais à genoux face à l’escalade de l’insécurité. Les attaques répétées des gangs armés perturbent gravement les activités agricoles et paralysent les routes menant vers les marchés. Ce contexte chaotique a rendu l’acheminement des produits frais extrêmement difficile, entraînant une explosion des prix : le lot de tomates est passé de 25 à plus de 75 gourdes en quelques semaines, les carottes se vendent désormais à 100 gourdes contre 50 auparavant, et l’oignon a vu son prix doubler.
Les plus vulnérables en première ligne
Cette inflation a un impact dévastateur sur les populations les plus vulnérables. Pour de nombreuses familles à faibles revenus, acheter des légumes est devenu un luxe inaccessible. Une résidente de Pétion-Ville, rencontrée au marché « Cocoyer », confie : « C’est devenu presque impossible d’acheter des légumes pour un repas. On ne peut plus les intégrer à notre alimentation quotidienne. » D’autres consommateurs, pris dans la tourmente de la crise économique générale, sont contraints de réduire leur consommation ou de se tourner vers des alternatives moins coûteuses, mais aussi moins nutritives.
« Même avec un peu de monnaie en main, on ne peut presque rien acheter », se désole une autre habitante, inquiète de la hausse des prix.
Des producteurs désespérés face à l’inaction de l’État
Du côté des producteurs, le désespoir se fait sentir. Incapables d’écouler leurs récoltes à cause de l’insécurité, certains voient leurs produits pourrir sur place. « Nous avons des récoltes, mais nous ne pouvons pas les transporter. C’est trop risqué. Parfois, on est contraints de jeter des légumes invendus », témoigne un agriculteur local. D’autres, contraints de fuir les zones contrôlées par les gangs, abandonnent leurs terres, espérant échapper à la violence qui s’intensifie malgré les annonces des autorités prétendant avoir mené des opérations pour chasser ces criminels.
Cette situation met en lumière l’incapacité de l’État à garantir la sécurité et à soutenir les agriculteurs, pourtant essentiels à l’approvisionnement du pays. Les mesures d’aide sont jugées insuffisantes et trop lentes face à l’ampleur de la crise.
Absence de réponse de l’État
Face à l’escalade de la violence, l’État semble impuissant. Aucune mesure concrète n’a été mise en place pour sécuriser la zone ou soutenir les producteurs locaux. Un rapport du Bureau Intégré des Nations-Unies en Haïti (BINUH) fait état de plus de 300 morts dans la commune, dont plusieurs agents des forces de l’ordre, tandis que plus de 7 000 personnes ont dû fuir leurs domiciles. Plus de 1 500 maisons, dont l’hôtel Le Montcel, ont été incendiées.
Les citoyens, choqués par l’ampleur de la situation, dénoncent l’absence de réaction efficace de l’État, qu’ils accusent de privilégier ses propres intérêts au détriment des urgences nationales.
Vers une crise alimentaire généralisée ?
Si cette situation perdure, le risque d’une crise alimentaire généralisée devient de plus en plus réel. L’économiste Fabien Gérôme avertit que la combinaison de la hausse des prix et de la baisse du pouvoir d’achat pourrait plonger davantage de familles dans l’insécurité alimentaire. « L’État est incompétent et incapable de gérer les besoins fondamentaux de sa population », déplore-t-il.
Quelle issue à cette crise ?
Face à cette crise complexe, les solutions semblent difficiles à trouver. Certains plaident pour des mesures urgentes afin de rétablir la sécurité dans la région, tandis que d’autres insistent sur la nécessité de repenser les politiques agricoles et de renforcer l’appui aux producteurs locaux pour relancer la production. En attendant, les habitants de Kenscoff et des zones avoisinantes continuent de subir les lourdes conséquences de cette crise, dont les répercussions se font sentir bien au-delà des marchés.
Jean Gilles Désinord
Vant Bèf Info (VBI)