Haïti sans hôpital : la fermeture de l’HUEH sous le poids de l’insécurité et ses conséquences dramatiques pour les étudiants en sciences de la santé et l’ensemble de la population

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L’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), communément appelé Hôpital Général, est aujourd’hui à l’agonie. Plus grand centre hospitalier et principal établissement de formation médicale post-universitaire du pays, il est situé au cœur de Port-au-Prince et représente un pilier indispensable du système de santé haïtien. Selon la collecte des données de l’institution, il accueillait depuis 2012 plus de 200 000 patients par an, soit en moyenne plus de 500 patients par jour. Mais aujourd’hui, l’HUEH a été frappé de plein fouet par l’insécurité qui gangrène le pays. Attaques armées, pillages, incendies : l’hôpital a été contraint de fermer ses portes, abandonnant des milliers de patients à leur sort.

Cette situation plonge un système de santé déjà en grande difficulté dans un état de mort cérébrale. Privé de son principal hôpital de référence, Haïti s’enfonce dans une catastrophe sanitaire aux allures apocalyptiques. L’absence de prise en charge des urgences, des maladies chroniques et des pathologies infectieuses menace des vies sur toute l’étendue du territoire national. En plus de priver la population de soins essentiels, la fermeture brutale de l’HUEH interrompt la formation des futurs médecins, spécialistes, infirmières et sages-femmes, tout en provoquant l’exode accéléré et forcé du personnel soignant. Ces derniers, déjà largement en sous-effectif, fuient un environnement devenu invivable, aggravant une situation où le pays compte bien moins que les 25 professionnels de santé pour 10 000 habitants recommandés par l’OMS.
Ce drame survient dans un contexte où l’accès aux soins de santé reste un défi majeur. À peine 10 % de la population vit à moins d’un kilomètre d’un centre de santé, tandis que 42 % doivent parcourir plus de 10 kilomètres pour en trouver un, et environ 22 % des régions du pays ne disposent d’aucune infrastructure sanitaire.

Le système d’assurance santé, quant à lui, ne couvre qu’une infime partie de la population, soit moins de 10 %. Selon la Banque mondiale, l’espérance de vie à la naissance en 2022 était de 63,73 ans, bien en dessous de la moyenne mondiale estimée à 72,6 ans par l’Organisation mondiale de la santé. Les dépenses publiques de santé s’élevaient à seulement 7 dollars par habitant.
À titre de comparaison, en République dominicaine voisine, lors de cette même année, près de 98 % de la population bénéficiait d’une assurance santé. L’espérance de vie y atteignait 74,17 ans, avec des dépenses publiques de santé par habitant de 270 dollars. Face à cette menace croissante qui met en péril à la fois des vies humaines, des rêves et des carrières, la mobilisation s’intensifie : étudiants, médecins et professionnels de la santé s’organisent pour empêcher le pire.
Quelle est l’importance, la place et le poids de l’HUEH dans le système de santé haïtien, et comment sa fermeture affecte-t-elle l’ensemble du réseau de soins du pays ? Comment l’HUEH, pilier historique du système de santé haïtien, en est-il arrivé à devenir une cible dans un climat d’insécurité généralisée ? Quelles sont les répercussions de sa fermeture sur la formation des futurs professionnels de santé et sur l’accès aux soins pour la population ? Face à l’effondrement de l’un des plus grands centres hospitaliers du pays, quelles solutions urgentes peuvent être envisagées et quelles exigences formulées par les étudiants en sciences de la santé pour assurer la continuité des soins et la formation des futurs professionnels de la santé ? Comment l’insécurité constitue-t-elle un obstacle à la vie et la santé en Haïti ?
Rôle, importance et place de l’HUEH dans la pyramide du système de santé haïtien
L’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) représente un pilier essentiel du système de santé haïtien, non seulement par son rôle dans les soins médicaux, mais aussi par ses contributions précieuses à la formation des professionnels de santé compétents et à la recherche scientifique. Fondé en 1916, à la suite de la fusion de l’Hôpital Militaire et de l’Hospice de Saint-Vincent de Paul, l’objectif initial était de créer un hôpital civil destiné à la population de Port-au-Prince. Ce n’est qu’en 1968, avec l’article 1 du décret du 26 septembre, que l’Hôpital Général est officiellement transformé en HUEH. Ce texte de loi définit les trois grandes fonctions de l’institution : offrir des soins, former des professionnels de santé et mener des recherches médicales et paramédicales. C’est dans ce contexte que l’HUEH occupe une place centrale dans le système de santé haïtien.
Ce système est organisé de manière pyramidale et se divise en trois niveaux distincts, chacun ayant des fonctions et des responsabilités spécifiques. Au premier niveau, on retrouve les services de santé de base ou primaires, qui sont eux-mêmes répartis en trois échelons. Le premier échelon comprend les centres communautaires de santé, ou services de santé de premier échelon (SSPE), qui offrent des soins aux sections communales les moins peuplées, assurant ainsi un accès de proximité aux soins. Le deuxième échelon est constitué des centres de santé, ou services de santé de deuxième échelon (SSDE), qui desservent les chefs-lieux de commune et offrent des soins plus complets. Enfin, le troisième échelon, les hôpitaux communautaires de référence (HCR), dessert les chefs-lieux d’arrondissement et sert de point de référence pour les cas plus complexes dans ces zones.
Le deuxième niveau du système de santé haïtien est représenté par les hôpitaux départementaux, qui offrent des soins spécialisés à la population des départements. Ces hôpitaux jouent un rôle clé en fournissant des traitements médicaux plus avancés que ceux proposés au premier niveau, bien qu’ils ne soient pas aussi spécialisés que ceux du troisième niveau. Ils s’occupent de cas nécessitant une expertise plus poussée et des équipements adaptés aux besoins des patients dans ces régions.
Au sommet de la pyramide se trouve le troisième niveau, qui comprend les hôpitaux universitaires et spécialisés, avec l’Hôpital Universitaire de l’État d’Haïti (HUEH) occupant une place de tout premier plan. À la différence des autres hôpitaux universitaires, il abrite des services clés de référence nationale, tels que l’oto-rhino-laryngologie (ORL), la néonatologie, les soins aux grands brûlés, l’urologie et la dialyse. Ce niveau est destiné à fournir des soins tertiaires, les soins les plus spécialisés, des soins de réhabilitation, qui concernent des traitements complexes nécessitant une expertise médicale avancée et l’utilisation d’équipements spécialisés. L’HUEH est ainsi le principal centre de soins tertiaires du pays, prenant en charge des maladies graves et chroniques qui ne peuvent être traitées par les structures des deux premiers niveaux.
En qualité du plus grand centre hospitalo-universitaire du pays, l’HUEH joue un rôle majeur dans la formation des professionnels de santé. Chaque année, plus de 500 étudiants, allant de DCEM1 (première année du deuxième cycle des études médicales, soit la troisième année du cursus médical) à l’internat (sixième année du cursus médical), de la Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP-EBMO/UEH), la plus ancienne faculté en sciences de la santé du pays, y réalisent leurs stages cliniques. L’HUEH accueille des externes, des internes, des résidents, des étudiants en sages-femmes de l’Institut National Supérieur de Formation de Sages-Femmes (INSFSF), ainsi que des étudiants en science infirmière de la Faculté des Sciences Infirmières de Port-au-Prince (FSIP), qui bénéficient d’une formation pratique de qualité. Ces futurs spécialistes de la santé jouent un rôle crucial dans la qualité des soins prodigués à travers le pays.
L’HUEH se distingue également en étant l’hôpital qui offre le plus grand nombre de services médicaux de tout le pays, tout en demeurant un établissement à coût abordable, faisant de lui, par la même occasion, le plus grand hôpital public de la République. Parmi les services qu’il propose, on trouve la médecine interne, les urgences, la chirurgie, la pédiatrie, l’obstétrique-gynécologie, la radiologie, l’orthopédie et traumatologie, l’urologie, l’anesthésiologie, l’ophtalmologie et l’oto- rhino-laryngologie, la dermatologie, la médecine préventive, entre autres. Cette large gamme de services permet à l’HUEH de répondre aux besoins variés de la population haïtienne, tout en garantissant des soins de qualité à des prix accessibles, même dans les situations les plus critiques et chaotiques.

En parallèle de sa mission de formation et de soins, l’HUEH mène des recherches approfondies dans les domaines médicaux et paramédicaux, en particulier sur les problèmes de santé locaux tels que le VIH/SIDA, le paludisme, l’insuffisance rénale, la mortalité infantile et maternelle, ainsi que d’autres défis sanitaires spécifiques à Haïti. Ces recherches contribuent à améliorer la compréhension et la gestion des maladies dans le contexte haïtien.
Ainsi, l’HUEH ne se limite pas à un rôle d’établissement de soins. Il constitue un pilier fondamental du système de santé haïtien, agissant à la fois comme centre de référence, d’enseignement et de recherche. Ce rôle multifacette, combiné à sa capacité à offrir des soins tertiaires de qualité et des services accessibles, fait de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti une ressource indispensable pour Haïti, contribuant à l’amélioration continue du système de santé national tout en répondant aux besoins sanitaires les plus complexes de la population haïtienne.
Attaques armées : l’HUEH pris pour cible
Dans le sillage de l’offensive éclair menée par des groupes armés le 29 février 2024, l’Hôpital Général, le plus grand centre hospitalier du pays, s’est retrouvé parmi les nombreuses infrastructures publiques et privées prises pour cible. Dès le jour de l’attaque, ce centre hospitalier a été contraint de fermer ses portes, abandonné à son sort et soumis à une série d’assauts successifs. Pillages, actes de vandalisme et incendies ont gravement compromis sa mission essentielle : soigner la population, en particulier les plus vulnérables, tout en assurant la formation des personnels médicaux et la recherche biomédicale, en tant qu’hôpital de niveau 3.
Le 1er avril 2024, après de violents affrontements aux abords de l’établissement, les groupes armés en ont pris le contrôle, déclenchant une nouvelle vague de destructions et de pillages. L’hôpital, déjà en situation critique, a sombré un peu plus dans le chaos. Malgré les promesses répétées des autorités, qui avaient fait de sa réouverture une priorité, aucune action concrète n’a suivi. Le 24 décembre 2024, l’ancien ministre de la Santé, Dr Duckenson Lorthé BLEMA, avait annoncé une reprise des activités. Mais ce jour-là, tout a basculé : deux journalistes ont été tués, plusieurs autres blessés, et un policier a également perdu la vie. Cet événement tragique a marqué un tournant sombre pour l’HUEH, qui, depuis, semble voué à l’oubli. Jusqu’au 13 février 2025, où les gangs armés ont décidé d’incendier une partie des bâtiments abritant des services vitaux : orthopédie, chirurgie, radiologie, archives centrales, salles d’opération, physiothérapie et ophtalmologie. Ce jour-là, le plus grand centre hospitalier du pays a franchi le dernier seuil vers l’effondrement total, après une longue série de péripéties.
Aujourd’hui, l’HUEH, autrefois symbole de soins et de formation médicale, est devenu l’image même de l’effondrement d’un système de santé déjà fragile, victime de l’instabilité et de la violence qui ravagent le pays.
Plus d’un an après, personne n’est en mesure de fournir un bilan précis des pertes subies par l’Hôpital Général. Cependant, les impacts de sa fermeture ne cessent de se faire sentir. La fermeture de l’HUEH complique considérablement la prise en charge des demandeurs de soins dans un pays où les infrastructures de santé sont déjà dans une situation lamentable. Elle rend également plus difficile la formation des futurs médecins, infirmières, sages-femmes et biologistes médicaux, dans un contexte où les personnels qualifiés se font de plus en plus rares.
Une catastrophe pour les étudiants et la population
L’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) représente bien plus qu’un simple centre de soins : c’est le principal terrain de formation pour les étudiants en médecine, les internes, les résidents, ainsi que pour les étudiants en sciences infirmières et en sage-femme. Étroitement lié à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de l’Université d’État d’Haïti, il joue un rôle crucial dans l’encadrement pratique des futurs professionnels de santé. Selon le site officiel de la Faculté, celle- ci accueille une communauté étudiante d’environ 1600 étudiants et admet chaque année, par concours, 215 nouveaux étudiants. Ces derniers sont répartis entre les différentes sections comme suit : 125 en médecine, 50 en pharmacie, 25 en biologie médicale et 15 en optométrie. La fermeture de l’HUEH, causée par l’insécurité grandissante et le contrôle des gangs armés sur la région métropolitaine de Port-au-Prince, plonge ainsi la formation médicale dans une crise sans précédent.
Pour les étudiants en médecine : un apprentissage privé de réalité clinique. Les étudiants apprennent à diagnostiquer et traiter les maladies grâce aux stages hospitaliers. Avec la fermeture de l’HUEH, ils sont privés de cette immersion essentielle. Ils ne peuvent plus interagir avec les patients, observer des cas cliniques variés, ni s’entraîner aux examens physiques et aux gestes médicaux.
La réponse du décanat de la Faculté de Médecine et de Pharmacie a été de renforcer l’enseignement théorique, notamment via des cours en ligne avec les moniteurs de stage. Mais cette solution est loin d’être efficace pour les raisons suivantes :

- L’accès à Internet est limité, une réalité dans la vie quotidienne de nombreux étudiants, ce qui empêche un suivi régulier ;
- Les connaissances restent abstraites, sans mise en pratique réelle sur le terrain ;
- L’absence de mentors cliniques empêche les étudiants d’apprendre directement auprès de
médecins expérimentés.
En conséquence, cette génération d’étudiants risque d’obtenir un diplôme avec une formation incomplète, ce qui soulève de graves inquiétudes sur la qualité des futurs professionnels dans le pays.
Quant aux internes : un parcours bloqué et des alternatives précaires.
Les internes — dont le nombre annuel avoisine les 125 — sont particulièrement affectés par cette fermeture. En dernière phase de formation avant d’être officiellement médecins, ils doivent valider un certain nombre de compétences cliniques, ce qui est devenu presque impossible sans accès aux patients.
Face à cette situation, plusieurs cas de figures peuvent se présenter :
- Certains internes cherchent des stages dans d’autres hôpitaux, mais la majorité des établissements de Port-au-Prince ou presque tous, sont soit débordés, soit également touchés par l’insécurité ;
- D’autres envisagent d’émigrer pour terminer leur formation, les plus chanceux, ou changer même d’orientation pour certains autres, une situation de plus contribuant à la fuite des talents médicaux ;
- Certains voient leur formation suspendue, sans savoir quand ils pourront reprendre leur cursus normalement. Cette situation crée un goulet d’étranglement dans le parcours académique des futurs médecins, retardant leur intégration dans le système de santé.
En dernier lieu, les médecins résidents ne sont pas épargnés par la crise sécuritaire qui secoue la population et le système de santé haïtien. Bien au contraire, ils figurent parmi les professionnels les plus durement affectés. Déjà confrontés à des conditions de travail précaires — rémunération dérisoire, manque criant de matériel, encadrement limité —, ils évoluent désormais dans un climat d’incertitude totale quant à leur avenir professionnel. Chaque année, l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) accueille en moyenne 56 résidents, répartis dans ses différents services spécialisés : Médecine interne (10), Pédiatrie (8), Gynécologie-obstétrique (6), Chirurgie générale (3), Orthopédie (4), Urologie (2), Oto-rhino-laryngologie (3), Ophtalmologie (4), Anesthésiologie (6), Dermatologie (4) et Radiologie (6). Autant de jeunes médecins, animés par le désir profond de soigner et de contribuer au bien-être de la population, mais qui se heurtent chaque jour à un système à bout de souffle, incapable de leur offrir les moyens de leur engagement et la dignité de leur vocation.
Avec la fermeture de l’HUEH :
Les services hospitaliers ont cessé de fonctionner, empêchant les résidents de se former. L’anatomopathologie, par exemple, est pratiquement à l’arrêt depuis 2019.
Les résidents en chirurgie, médecine interne ou pédiatrie etc… ne peuvent plus pratiquer les interventions et soins qu’ils doivent maîtriser avant d’exercer seuls. L’option de partir à l’étranger devient la seule alternative viable, ce qui réduit encore davantage le nombre de spécialistes disponibles en Haïti.
Cette situation compromet l’avenir même des spécialités médicales dans le pays. L’insécurité actuelle est en train de sacrifier toute une génération de médecins. Si les résidents ne peuvent pas être formés, qui prendra en charge les soins spécialisés dans les années à venir ?
Si rien n’est fait rapidement, Haïti risque de former une génération de médecins avec des lacunes importantes en pratique clinique. Cette situation pourrait avoir des conséquences dramatiques:
- Une baisse de la qualité des soins médicaux, mettant en danger la vie des patients.
- Un accroissement de la fuite des cerveaux médicaux, aggravant la pénurie de professionnels de santé.
- Une crise sanitaire durable, car un système de santé ne peut fonctionner sans médecins bien formés.
Parallèlement, depuis la fermeture de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) en février 2024, la pression sur les hôpitaux restants de Port-au-Prince n’a cessé d’augmenter. Les hôpitaux restants, déjà fragilisés par l’insécurité et la pénurie de ressources, sont désormais submergés. Les populations en provenance de la capitale et des départements voisins affluent dans ces centres de soins, où les capacités d’accueil sont limitées.
C’est le cas de l’Hôpital Universitaire La Paix (HUP) à Delmas 33, un des rares établissements fonctionnels en ce moment. La clinique externe de cet hôpital reçoit désormais jusqu’à 375 patients par jour, tandis que les services d’urgence traitent environ 80 malades quotidiennement, selon les déclarations du Dr Paul Junior FONTILUS, directeur exécutif de l’hôpital. Cette hausse des admissions représente une augmentation de 60 % à 90 % pour la clinique externe et de près de 100 % pour les urgences.
La disparition de l’HUEH prive ainsi des milliers de patients d’un accès à des soins spécialisés, parfois vitaux, exacerbant la morbidité et la mortalité liées à des pathologies jusque-là évitables, telles que les maladies chroniques, le diabète, l’hypertension, ou encore l’insuffisance rénale chronique.
L’HUEH assurait une prise en charge essentielle pour les urgences médicales, chirurgicales et obstétricales. Les urgences liées aux infections sévères, comme le VIH/SIDA et les flambées épidémiques, se retrouvent sans un suivi adéquat, mettant davantage en péril la santé publique. Selon un article de Jérôme Wendy NORESTYL, publié en avril 2024 par AyiboPost, plus d’un millier de patients séropositifs au VIH se trouvent actuellement sans accès à leurs traitements, dispersés dans des camps de réfugiés à Port-au-Prince. En raison de l’insécurité, nombre d’entre eux fuient vers leur ville d’origine en province, ce qui accroît la pression sur des structures de santé souvent déjà démunies.
Cette situation se déroule dans un contexte de crise humanitaire aiguë, où des dizaines de milliers de déplacés, vivant dans des conditions précaires dans des abris de fortune, augmentent encore la demande en soins de santé.
La capacité de réponse face aux épidémies, notamment en cas de flambées de choléra, est également fortement réduite, mettant ainsi en danger une population déjà vulnérable. La fermeture de l’HUEH a donc des conséquences dramatiques non seulement sur la qualité des soins, mais aussi sur la sécurité sanitaire du pays, aggravant ainsi une situation déjà tendue. Les autorités sanitaires et les organisations internationales doivent intervenir de toute urgence pour soutenir les hôpitaux restants, permettre la remise en service, dans les plus brefs délais, de l’HUEH, et garantir ainsi un accès aux soins pour la population haïtienne.
L’insécurité, un obstacle à la vie et à la santé en Haïti
La violence armée qui sévit en Haïti n’épargne personne, pas même les hôpitaux. L’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), le plus grand centre hospitalier public du pays, a dû fermer ses portes en mars 2024, laissant derrière lui des milliers de patients sans soins. Mais il ne s’agit pas d’un cas isolé : plusieurs institutions médicales à travers le pays sont aujourd’hui sous la menace directe des gangs. L’Hôpital Saint François de Sales a été complètement vandalisé par des groupes armés au début du mois de mars 2024. En juillet 2023, une vingtaine d’hommes armés et cagoulés ont fait irruption dans le bloc opératoire de l’hôpital de Médecins Sans Frontières à Tabarre (MSF) et ont emmené un patient. Plus récemment, en mars 2025, quatre véhicules de Médecins Sans Frontières ont été la cible de groupes armés qui s’étaient installés à quelques mètres du centre d’urgence de Turgeau, contraignant l’organisation à suspendre ses activités et à évacuer son personnel. Un autre pilier du système de soins est également menacé : l’Hôpital Universitaire de Mirebalais, à la suite des récentes attaques sur la ville de Mirebalais. À cela s’ajoutent la vandalisation d’autres structures de santé, notamment l’Hôpital de Delmas 18, l’Hôpital Bernard Mevs, les centres GHESKIO, le Centre de santé Saint-Martin, le Centre de santé Fanmi Lasante, ainsi que plusieurs pharmacies et laboratoires, par exemple RadioLab.
Les professionnels de la santé, eux aussi, sont devenus des cibles. Enlèvements, menaces, assassinats : les soignants exercent désormais dans la peur, quand ils ne sont pas forcés de fuir le pays. Dans de telles circonstances, soigner est devenu un acte de bravoure. Le système de santé perd ainsi chaque jour des bras indispensables. Selon l’Association Médicale Haïtienne (AMH), plus d’une trentaine de médecins ont été kidnappés entre janvier 2022 et mars 2023, dans un pays qui ne compte en moyenne que 6,5 professionnels de santé pour 10 000 habitants — un chiffre bien en dessous du seuil minimal recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
La situation est particulièrement dramatique pour la population haïtienne, qui se trouve non seulement confrontée à des difficultés pour accéder aux soins en raison de la fermeture de nombreux services de santé, mais aussi à une insécurité croissante. De plus, la peur d’être pris entre deux feux pousse de nombreuses personnes à éviter de se rendre à l’hôpital, même en cas d’urgence. Cette réalité se reflète dans les chiffres concernant les hôpitaux dominicains, qui sont fortement sollicités par les Haïtiens en raison de la situation sanitaire précaire dans leur propre pays.
Le Référentiel d’Information et de Statistiques des Services de Santé révèle que, durant l’année 2024, 592 810 consultations, soit 8,13 % du total, ont été offertes dans les hôpitaux publics dominicains à des patients d’origine haïtienne. De plus, les services d’urgence des hôpitaux dominicains ont accueilli 480 332 patients d’origine haïtienne, représentant 9,47 % du total enregistré pour l’année. Concernant les naissances, les hôpitaux ont enregistré 32 967 naissances de mères haïtiennes, soit 36 % des 91 661 naissances au total en 2024. Ces données témoignent de la pression accrue exercée sur le système de santé dominicain, conséquence directe du chaos qui règne en Haïti, nourri par une insécurité mortifère et politicide qui broient vies humaines et institutions.
Haïti vit une urgence sanitaire silencieuse. Ce climat de terreur plonge le pays dans une crise humanitaire sans précédent. Si rien n’est fait, Haïti court vers un effondrement total de son système de santé — une situation qui menace directement la pérennité de la vie dans la République. L’État, paralysé, semble incapable de garantir le droit fondamental à la santé.
Les revendications et les exigences de la communauté estudiantine
Face à l’effondrement de L’HUEH, les étudiants demandent :
- La délocalisation temporaire et indépendante des services de L’HUEH
L’HUEH est un lieu incontournable pour la formation des futurs médecins et des autres professionnels de la santé en Haïti. C’est ici que nous, étudiants, réalisons la majeure partie de nos stages cliniques, ce qui est essentiel à notre apprentissage. Cependant, avec la fermeture et l’incendie de l’hôpital par des gangs armés, notre formation est mise en péril. L’absence d’un environnement d’apprentissage sécurisé et adéquat pour les stages hospitaliers entrave notre capacité à devenir des médecins compétents et bien préparés. Cela met également en danger la qualité de formation des générations futures des professionnels de santé haïtiens.
Face à cette situation intolérable, nous demandons la délocalisation temporaire et indépendante de l’HUEH, dans les plus brefs délais, vers des structures sûres et capables d’assurer la continuité des soins pour la population et de permettre aux étudiants de poursuivre leur formation. Cette délocalisation devrait faire de manière organisée et coordonnée, en répartissant les différents services hospitaliers dans des établissements sécurisés, tout en respectant les normes de qualité.
- Le réaménagement et la remise en service immédiate de L’HUEH
Le réaménagement et la remise en service de L’HUEH devront être une priorité pour les autorités, afin de garantir la pérennité de cet établissement médical clé pour la population haïtienne. L’HUEH joue un rôle crucial dans la prestation de soins médicaux de qualité, l’enseignement, et la recherche, et sa modernisation est indispensable face aux défis contemporains auxquels il est confronté.
Les récents évènements qui ont secoués l’hôpital, notamment les attaques armées, les incendies criminels et les dégâts matériels conséquents ont gravement compromis l’intégrité des infrastructures et la capacité de l’établissement à fournir des soins de qualité à la population haïtienne. Pourtant malgré ces difficultés, il est impératif de rappeler que L’HUEH demeure une institution irremplaçable. Sa fermeture, même partielle entraîne des conséquences directes sur la santé publique et sur la formation des professionnels de santé, ce qui rend son réaménagement et sa remise en service immédiate plus urgents que jamais.
- La protection et la sécurisation des hôpitaux
Face à l’insécurité, la protection et la sécurisation de nos hôpitaux représentent un défi majeur dans un contexte où les violences armées, les gangs et l’instabilité politique affectent de nombreuses régions du pays. En plus des risques liés aux catastrophes naturelles et aux problèmes d’infrastructures vieillissantes, la sécurisation des hôpitaux est de plus en plus une priorité. La situation d’insécurité impacte directement l’accès aux patients, la sécurité du personnel et des patients, ainsi que la préservation des équipements médicaux.
L’insécurité nécessite une approche multidimensionnelle, englobant des mesures de sécurité physique, de gestion des risques sociaux et politiques, ainsi que la collaboration avec les forces de sécurité. Compte tenu de la vulnérabilité des hôpitaux aux violences armées et aux intrusions, des actions concrètes doivent être mises en place pour protéger à la fois les patients, le personnel et les équipements. L’engagement des autorités locales, des partenaires internationaux et des organisations de la société civile est crucial pour assurer un environnement de soins sûr et efficace.
Face à l’effondrement brutal du système de santé, à la fermeture des hôpitaux, à l’exode des professionnels et à l’abandon des patients, Haïti semble glisser dangereusement vers une zone de non-retour. L’insécurité gangrenée qui paralyse le pays n’épargne plus aucun secteur vital, et la santé publique en paie aujourd’hui le prix fort.

Mais dans ce chaos, une lueur persiste : celle des étudiants en sciences de la santé, qui se tiennent comme un seul homme pour sonner l’alarme. Par notre mobilisation, nous refusons de rester spectateurs de l’effondrement. Nous luttons pour empêcher le pire — l’extinction pure et simple de la nation haïtienne.
Plus qu’une urgence sanitaire, c’est la survie même de la République qui est en jeu. La communauté nationale comme internationale ne peut plus détourner le regard. Agir, c’est protéger non seulement des structures, mais des vies — celles de tout un peuple qui refuse de disparaître dans le silence et l’indifférence.
UT OMNIBUS PROSINT ! Auteurs :
Dr Gérald VERNELUS, professeur à la FMP-EBMO/UEH
Jephté Emmanuel MATHIEU, interne à l’Hôpital Universitaire Justinien
Pierre Denshon LOLO, étudiant en DCEMIII à la FMP-EBMO/UEH
Esdras PAUL, étudiant en DCEMI à la FMP-EBMO/UEH
Dave Andy LAFORTUNE, étudiant en DCEMI à la FMP-EBMO/UEH
Woodiny COUBA, étudiant en DCEMI à la FMP-EBMO/UEH
Marc Andelor BENJAMIN, étudiant en PCEMII à la FMP-EBMO/UEH