Haïti : les journalistes sur le terrain, entre audace et fragilité

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En Haïti, les journalistes qui couvrent les événements sur le terrain jouent un rôle clé en témoignant des bouleversements qui affectent le pays. Néanmoins, exercer ce métier, notamment dans des zones violentes et tendues comme Port-au-Prince, nécessite un équilibre précaire entre courage et vulnérabilité. Cela est particulièrement vrai face à la montée des violences des gangs armés qui assiègent la capitale haïtienne.
Un environnement risqué pour les journalistes
Les journalistes haïtiens évoluent régulièrement dans un contexte dangereux et hostile. Entre manifestations, violences politiques et actes criminels, leur mission de rendre compte de la réalité les expose à des risques constants. Nombre d’entre eux expriment leur engagement envers la vérité, mais à un prix élevé pour leur propre sécurité.

« Ces journalistes sont un pilier essentiel dans la lutte du peuple haïtien. Ils risquent leur vie chaque jour pour informer la population », a expliqué un citoyen, tout en appelant les journalistes à plus de prudence en raison de la détérioration de la situation du pays.
Au-delà des violences physiques, les journalistes sont souvent confrontés à des menaces diverses telles que des intimidations, des menaces de mort, des arrestations arbitraires et du harcèlement. Bien que la Constitution haïtienne protège théoriquement la liberté de la presse, cette protection reste souvent illusoire dans un pays où l’impunité prévaut, laissant les journalistes isolés dans leur quête de vérité.
« Nous sommes souvent victimes de violences sous différentes formes. Cette situation met en danger notre travail », a confié Jerry Larson Xavier, journaliste chez Vant Bèf Info (VBI), en rappelant qu’il avait été agressé physiquement à deux reprises en une semaine.
Il a également souligné que, qu’il s’agisse de la police ou des citoyens, les journalistes, notamment ceux des médias en ligne, sont mal perçus malgré leurs sacrifices pour informer une population parfois accusatrice de complicité avec les gangs armés responsables des terreurs à Port-au-Prince.
« Récemment, je suis allé à Delmas 30 pour parler avec les habitants victimes de la bande ‘Viv amsanm’, mais j’ai été chassé de manière violente », a-t-il raconté. Des citoyens de la communauté l’ont insulté en le qualifiant de « journaliste des gangs », une situation qui expose davantage les journalistes à des risques, eux-mêmes victimes des mêmes criminels qu’ils couvrent.

Une résistance face aux dangers
Malgré ces périls, de nombreux journalistes persistent dans leur travail. Leur mission dépasse celle de transmettre l’information : elle se transforme en un acte de résistance. Dans les zones où l’État est absent ou défaillant, ces journalistes endossent souvent le rôle de défenseurs de la démocratie, de la justice sociale et de la vérité.
La couverture de quartiers populaires particulièrement touchés par les gangs armés à Port-au-Prince témoigne de ce courage. Ces journalistes, en exposant leur vie à la violence des gangs, tentent de donner une voix à ceux qui sont souvent réduits au silence par les puissances en place.
La presse joue également un rôle crucial dans la documentation des violations des droits humains, en dénonçant les abus de pouvoir et en mettant en lumière les réalités du quotidien des habitants. Cependant, malgré cet engagement, certains journalistes sont accusés de collaborer avec les gangs, bien que des membres de la profession soient eux-mêmes impliqués dans des pratiques déshonorantes, ternissant l’image du métier, comme l’a noté Fabien, journaliste de média en ligne.
La vulnérabilité, un risque permanent
Ce courage s’accompagne d’un lourd tribut, car la vulnérabilité des journalistes haïtiens est exacerbée par la fragilité des institutions chargées de les protéger. En dépit des efforts d’organisations internationales et des défenseurs des droits humains, ces journalistes restent souvent démunis face à l’ampleur des menaces qui pèsent sur eux.
Leurs conditions de travail sont également précaires. Beaucoup de journalistes manquent de protections adéquates, de formations pour gérer les risques et de soutien institutionnel solide. Le manque de ressources dans les rédactions et les moyens insuffisants pour assurer leur sécurité personnelle compliquent davantage leur quotidien. Dans un pays où l’instabilité est omniprésente et où les autorités sont souvent absentes ou corrompues, leur travail devient un défi face à l’incertitude.
« Nous faisons face à trois groupes : la population et la police qui nous accusent de collaborer avec les gangs, tandis que ces derniers nous considèrent comme des informateurs des forces de l’ordre », a ajouté M. Xavier, soutenu par Jasmin, un autre journaliste. Cette situation démontre l’isolement et la double menace auxquels les journalistes sont confrontés.
Le fardeau du silence et de l’autocensure
Devant ces menaces, certains journalistes se retrouvent pris dans un dilemme éthique et professionnel. L’autocensure devient alors une stratégie de survie dans un environnement où la frontière entre information et danger devient de plus en plus floue. Ce phénomène découle non seulement de la peur, mais aussi de pressions externes, de manipulations politiques et de compromis économiques. Le silence qui en découle fragilise la presse et prive la population d’une information libre et indépendante. Ces journalistes sont parfois qualifiés de « marchands de micro », accusés d’être au service d’intérêts étrangers.
Renforcer la sécurité des journalistes
Afin de garantir la sécurité des journalistes, en particulier ceux de terrain, et leur permettre de travailler en toute liberté, il est impératif de renforcer leur soutien, notamment à travers des programmes de formation, de protection et de soutien financier. Il est essentiel que les autorités haïtiennes prennent des mesures concrètes pour assurer la liberté de la presse et protéger ceux qui la défendent.
Dans ce contexte complexe, les journalistes restent un acteur vital dans la lutte pour la liberté et la justice sociale. Leur travail s’inscrit dans un équilibre fragile entre courage et vulnérabilité, un combat souvent invisible mais fondamental pour la démocratie en Haïti. La protection de ces journalistes, le respect de leur liberté d’expression et la réduction des risques qu’ils affrontent doivent devenir des priorités pour l’ensemble des acteurs sociaux et politiques du pays.
Jean Gilles Désinord
Vant Bèf Info (VBI)