Haïti : la vente de nourriture dans les bouettes, un phénomène de plus en plus courant à Port-au-Prince

Getting your Trinity Audio player ready...
|
Dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, un phénomène prend de l’ampleur : de jeunes hommes vendent de la nourriture dans des bouettes. Cette pratique, bien qu’étant une solution de survie dans un pays marqué par la précarité économique, soulève des inquiétudes quant à la sécurité alimentaire et aux conditions de vie de ces vendeurs.

Dans plusieurs quartiers de la capitale, ces vendeurs installent leurs bouettes – souvent des stands de fortune en carton – et proposent des plats comme le riz aux pois, surnommé Aléquin. Pour de nombreux Haïtiens, ces repas abordables sont une véritable bouffée d’air frais dans un quotidien difficile.
« Parfois, je n’ai pas assez d’argent pour aller au restaurant. Ces plats me permettent de manger à moindre coût », confie une femme prenant son premier repas de la journée vers 10 heures du matin.
Des cireurs de chaussures, présents aux abords des bouettes, partagent ce constat. Selon eux, la crise économique pousse les gens à mettre de côté certaines exigences alimentaires : « Pa gen zuzu kounye a. »
Si ces repas répondent à un besoin, leur préparation soulève des inquiétudes. L’hygiène laisse souvent à désirer : aliments manipulés à mains nues, eau potentiellement contaminée et absence de formation en sécurité alimentaire.
« Moi, même si j’étais à l’agonie, je ne mangerais jamais ces plats ! », affirme une passante, dénonçant le manque de propreté des vendeurs.
Dans un pays où le chômage atteint des sommets et où les opportunités économiques sont rares, ces jeunes n’ont souvent d’autre choix que de vendre de la nourriture pour survivre.
« Le pays est difficile, surtout pour ceux qui n’ont pas les moyens d’investir. Alors, on crée nos propres activités pour s’en sortir », explique Davidson, 26 ans, qui a dû quitter Carrefour de l’Aéroport pour s’installer à Pétion-Ville.
Julien, surnommé Pappadap en raison de sa rapidité à servir les clients, témoigne également : « Je dois travailler pour nourrir ma famille. Ma mère est handicapée, ma sœur de 17 ans a déjà un enfant. Je suis l’aîné, je n’ai pas le choix. »
Malgré leur rôle essentiel dans le quotidien des Haïtiens, ces vendeurs font face à de nombreuses difficultés, notamment les descentes des agents municipaux qui voient d’un mauvais œil l’expansion de l’informalité dans l’espace public.
« Quand la mairie arrive, on doit fuir pour éviter les violences et la confiscation de nos affaires. C’est notre seul moyen de survie ! », déplore un vendeur.
Certains dénoncent même des abus : « Les agents municipaux prennent nos affaires et les utilisent pour nourrir leur propre famille. Nos accessoires ne sont jamais retrouvés. »
Un appel aux autorités
Face à cette situation, ces jeunes appellent les mairies de Delmas et de Pétion-Ville à prendre en compte leur réalité et à empêcher les abus des agents municipaux.
« Nous demandons aux maires Wilson Jeudy et Kesner Nornil d’intervenir pour que nous puissions travailler sans être persécutés », déclarent-ils.
Ce phénomène met en lumière l’abandon de la jeunesse haïtienne par l’État. Pourtant, ces jeunes incarnent la résilience et l’esprit de débrouillardise qui caractérisent Haïti. Ils survivent dans des conditions extrêmes et rêvent d’un avenir meilleur.
Jean Gilles Désinord
Vant Bèf Info (VBI)