Haïti face à la crise agricole : quand l’insécurité menace la survie des paysans

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L’insécurité croissante en Haïti est un problème récurrent qui affecte de nombreux secteurs de la vie socio-économique du pays, notamment l’agriculture. Ce secteur, essentiel à l’économie haïtienne et à la survie de millions de familles rurales, subit des conséquences dramatiques en raison de la violence des gangs armés. Aujourd’hui, la crise agricole s’intensifie, entravant non seulement la production alimentaire mais aussi le développement économique et social du pays.

Artibonite, le 22 mars 2025._Les agriculteurs haïtiens, particulièrement ceux du département de l’Artibonite, sont confrontés à une violence croissante qui complique l’exercice de leurs activités. L’extension des territoires contrôlés par les gangs et l’absence de sécurité empêchent les cultivateurs de travailler leurs terres dans des conditions normales.
De nombreux paysans sont victimes de violences physiques, de vols de récoltes, de destruction de leurs infrastructures agricoles et, dans certains cas, de kidnappings. Une situation qui engendre une peur constante chez les agriculteurs, qui tentent malgré tout de produire pour subvenir aux besoins de leurs familles.
« Nous ne savons pas vraiment quoi faire. Les bandits n’ont jamais éprouvé le moindre sentiment de pitié. Je ne me rappelle pas qu’Haïti ait connu un tel moment dans son histoire », témoigne M. Gesner, dit « Boss Nènè », un paysan du Bas-Artibonite, qui affirme avoir déjà été agressé physiquement à deux reprises, à l’intérieur même de son jardin.
Il explique également que les criminels ne se contentent pas d’agresser les travailleurs des champs : ils les kidnappent parfois et ne les libèrent qu’en échange d’une rançon, tandis que les récoltes sont saisies. Cette pratique, qualifiée de malveillante, risque de forcer les habitants à abandonner leurs terres, ce qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour la région et le pays en général.
Des routes devenues zones de non-droit
Parallèlement, les routes, essentielles pour le transport des produits agricoles vers les marchés, sont devenues extrêmement dangereuses, notamment à Pont-Sondé, L’Estère et bien d’autres axes stratégiques. Les camions chargés de marchandises sont régulièrement attaqués, empêchant les producteurs de vendre leurs récoltes.
Selon plusieurs cultivateurs, cette situation entraîne une baisse de la rentabilité de l’agriculture et, par conséquent, une augmentation de la pauvreté dans ces zones, dominées ces dernières années par des gangs armés.
« Même quand nous parvenons à produire malgré les difficultés, nous ne pouvons pas transporter nos produits en toute sécurité. Nos camions sont souvent attaqués, et les personnes à bord kidnappées », confie un chauffeur de camion assurant le trajet Petite-Rivière de l’Artibonite – L’Estère.
Une sous-production inquiétante
L’insécurité n’affecte pas seulement la vente des produits agricoles, mais aussi la production elle-même. De nombreux agriculteurs sont contraints de fuir leurs terres pour échapper à la violence, entraînant un manque criant de main-d’œuvre. Cette menace persistante met en péril un secteur déjà délaissé par les autorités étatiques.
« Les jeunes ne travaillent plus la terre, ils préfèrent intégrer des groupes criminels terrorisant la population », déplore une femme d’une soixantaine d’années. Elle explique qu’elle avait l’habitude d’embaucher plus de vingt jeunes garçons lors des récoltes, dans le cadre de la pratique traditionnelle du « Kombit ».
Les cultures vivrières comme le riz, le maïs, le manioc et les légumes sont particulièrement touchées. La production alimentaire nationale diminue, accentuant les pénuries alimentaires. Selon des rapports d’organisations internationales, Haïti dépend désormais largement des importations pour ses besoins alimentaires, et l’insécurité n’a fait qu’aggraver cette dépendance.
Des répercussions économiques alarmantes
Selon l’économiste Etzer Emile, l’insécurité dans le secteur agricole a un impact direct sur l’ensemble de l’économie haïtienne. L’agriculture constitue, en effet, une source de revenus pour une grande partie de la population.
Par conséquent, la chute de la production entraîne une diminution des revenus pour de nombreuses familles rurales, aggravant la pauvreté et les inégalités socio-économiques. L’avenir du secteur agricole haïtien reste incertain tant que l’insécurité persiste.
Face à cette situation critique, les paysans lancent un appel aux autorités afin qu’elles assument pleinement leurs responsabilités et rétablissent la sécurité sur l’ensemble du territoire national, permettant ainsi aux agriculteurs de travailler en toute quiétude.
Cette crise ne se limite pas à l’Artibonite : dans plusieurs régions du pays, des gangs armés imposent leur loi sous le regard passif des autorités. Pendant que les dirigeants se disputent des postes, la population, elle, vit le pire moment de son histoire.
Jean Gilles Désinord
Vant Bèf Info (VBI)