Haïti – Enfance déplacée : l’école, un rêve pour des milliers d’enfants vulnérables et oubliés

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Autour de Port-au-Prince, les camps d’accueil improvisés se multiplient. On y entend les voix d’enfants, non pas celles qui résonnent dans une cour de récréation, mais des plaintes empreintes de douleur, d’ennui et de désespoir. Face à la montée de l’insécurité et aux déplacements massifs de population, des milliers d’enfants haïtiens sont aujourd’hui privés d’écoles, dans un silence assourdissant.

Port-au-Prince, 24 avril 2025 – L’UNICEF estime à plus de 500 000 le nombre d’enfants déplacés à travers le pays, un chiffre en hausse alarmante depuis fin 2024. Ces familles, qui fuient les violences de groupes armés, s’entassent dans des abris de fortune, souvent dépourvus des services essentiels comme l’accès à l’éducation, aux soins médicaux ou à une alimentation décente.
« Ma fille n’a pas vu l’intérieur d’une salle de classe depuis un an. Chaque jour, elle me demande quand elle pourra retourner à l’école? Je n’ai pas de réponse à lui donner », témoigne Marlène (nom d’emprunt), une mère de deux enfants, rencontrée au local de l’Office de la Protection du Citoyen (OPC), situé sur la route de Bourdon, le mercredi 23 avril 2025 à 11h.
De nombreuses écoles ont été détruites ou transformées en abris temporaires. À Lalue, l’École nationale Argentine Bellegarde accueille désormais des familles déplacées. Rien qu’en 2024, 284 établissements scolaires ont été endommagés ou détruits sous l’effet des violences. Le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) peine à faire face à l’ampleur de la crise.
« Moi, je veux juste apprendre à lire pour devenir professeur », confie Marcson, un garçon de 10 ans, installé avec sa famille dans un camp à Delmas 33. « Mais ici, on n’a même pas de cahiers », dit-il, le 23 avril dernier
Pour mesurer l’impact de cette situation, nous avons interrogé le psychopédagogue Richardson Jeune. Il parle d’une crise humanitaire d’une gravité extrême, doublée d’une catastrophe sur le plan psychologique. « Ces enfants subissent de plein fouet une réalité qu’ils ne comprennent pas et qu’ils ne peuvent maîtriser », analyse-t-il. Il évoque des effets graves sur leur santé mentale : anxiété, agressivité, troubles émotionnels, isolement. Les parents, eux aussi, sont démunis, accablés par le stress et la perte de repères.

Selon lui, un dispositif d’accompagnement psychosocial d’urgence devrait être mis en place, mobilisant psychologues, pédagogues et travailleurs sociaux, pour venir en aide aux enfants et à leurs familles.
Cette situation de précarité extrême rend les enfants encore plus vulnérables. Human Rights Watch alerte sur le recrutement croissant de mineurs par les gangs, parfois en échange d’un simple repas. Les jeunes filles, quant à elles, sont particulièrement exposées aux violences sexuelles.
La crise actuelle désorganise profondément le système éducatif haïtien : disparition de dossiers scolaires, chaos administratif, découragement des enseignants et des élèves. De nombreuses écoles ne répondent plus aux standards exigés par le MENFP. Dans ces conditions, les chances de réussite aux examens officiels sont très faibles cette année.
Alors que le pays traverse une crise sans précédent, l’éducation est trop souvent ignorée dans les politiques de réponse. Pourtant, elle devrait être le pilier de toute stratégie de redressement national.
Floriane DORVAL
Vant Bèf Info (VBI )