Haiti : Désignation des gangs haïtiens comme terroristes, un jeu de pouvoir se dessine entre voisins

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Alors que les États-Unis ont officiellement désigné, le 2 mai 2025, la coalition Viv Ansanm et Gran Grif comme organisations terroristes étrangères, un rapport du Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH) présente une lecture de cette décision. L’analyse, dont notre rédaction a obtenu copie, montre à quel niveau cette désignation pourrait devenir un levier géopolitique pour des puissances régionales, au détriment de la souveraineté haïtienne.

Bourdon, le 6 mai 2025.-

En effet, la République dominicaine fut la première à classer officiellement Viv Ansanm comme groupe terroriste, le 4 mars 2025, via le décret 104-25. Un mois plus tard, les États-Unis ont emboîté le pas en inscrivant Viv Ansanm et Gran Grif sur leur liste d’organisations terroristes étrangères. Pour le CARDH, cette double désignation ouvre un champ d’intervention unilatérale pour les deux États voisins.

L’administration Trump cherche, à travers cette décision, à réaffirmer son leadership régional. Celui-ci s’est affaibli ces dernières années, en raison de l’influence croissante de la Chine et de la Russie au sein du Conseil de sécurité. Les autorités américaines peuvent désormais s’appuyer sur leur législation anti-terroriste pour agir en Haïti sans attendre de validation multilatérale.

La République dominicaine, de son côté, se dote d’un outil juridique et militaire susceptible de justifier des mesures sécuritaires. Elle peut également envisager des interventions ciblées à la frontière. L’État dominicain a renforcé ses capacités de surveillance, notamment via le Conseil national de lutte contre le terrorisme. Il a aussi activé ses agences de sécurité pour prévenir toute incursion depuis Haïti.

Cette posture dépasse le seul cadre sécuritaire. Le CARDH alerte sur la découverte de gisements de métaux critiques, notamment des terres rares, dans la province dominicaine de Pedernales, au sud de la frontière. Ces ressources, indispensables aux technologies de pointe, font déjà l’objet de forages depuis août 2024. Selon plusieurs chercheurs, Haïti disposerait également de telles ressources. Dans ce contexte, l’instabilité haïtienne devient un terrain favorable à l’expansion silencieuse des intérêts dominicains.

La souveraineté haïtienne en péril

Dans ce jeu d’intérêts croisés, la souveraineté haïtienne se trouve marginalisée.
Le rapport souligne que la désignation terroriste met en lumière l’incapacité de l’État haïtien à contrôler son propre territoire. Ni l’armée ni la police ne maîtrisent les zones où opèrent les gangs concernés. Ce vide, d’après le CARDH favorise des interventions unilatérales d’États étrangers.

Cette situation est aggravée par l’échec répété des missions internationales de stabilisation.
Depuis 1993, dix missions multilatérales ont été déployées en Haïti, sans produire de résultats durables. La plus récente, la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), peine à fonctionner efficacement. Sur les 2 500 policiers prévus, moins de 1 000 sont réellement opérationnels. De plus, une vingtaine de blindés sont déjà hors service.

Parallèlement, les autorités haïtiennes n’ont pas su faire preuve de leadership politique face à cette désignation. Le Conseil présidentiel de transition (CPT) s’est contenté de saluer la décision américaine. Aucune stratégie nationale de sécurité ni plan de relance institutionnelle n’ont été annoncés. L’agenda politique continue de primer sur l’intérêt national, comme le souligne le CARDH.

Face à la menace d’un basculement durable vers le chaos, le CARDH appelle à redéfinir le rôle de l’État haïtien. À défaut, d’autres acteurs le feront à sa place. Le vide laissé par l’inaction du gouvernement favorise les stratégies des puissances voisines. Sous couvert de lutte anti-terroriste, celles-ci avancent leurs intérêts économiques et militaires. Le CARDH rappelle qu’aucun acteur politique haïtien ne devrait se réjouir de cette désignation. Sans réformes internes, elle ne constitue pas une victoire, mais une perte de souveraineté nationale.

Belly-Dave Bélizaire

Vant Bèf Info (VBI)

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