Frankétienne s’éteint sans voir Haïti renaître de ses cendres

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Par Wandy CHARLES

Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d’Argent est mort. Le poète, le romancier, le dramaturge, le peintre, l’intellectuel inclassable s’est éteint aujourd’hui, le 20 février 2025, à l’âge de 88 ans. Il emporte avec lui une vision de grandeur qu’il n’aura jamais vue se concrétiser.

L’auteur de Dézafi et d’Ultravocal quitte ce monde en témoin impuissant de la descente aux enfers de son Haïti chérie. Avant de rendre son dernier souffle, il a assisté à l’un des pires chapitres de l’histoire du pays : une nation livrée aux gangs, à la violence aveugle, aux incendies et aux viols, un territoire déchiqueté où la barbarie a pris le pas sur la dignité.

Les balles perdues dans les rues de Port-au-Prince, les incendies criminels dévastant les quartiers populaires, les enlèvements en série, les viols impunis, la peur installée dans chaque recoin du territoire : voilà ce qu’a vu Frankétienne avant de fermer les yeux. Dans les derniers mois de sa vie, son propre quartier, Delmas, était à deux doigts d’être assiégé par des hommes armés, menaçant de devenir un « Territoire Perdu », comme tant d’autres à Port-au-Prince. Lui, cet infatigable bâtisseur de mots et de rêves, aura vu son pays sombrer dans ses pires cauchemars. Lui qui, toute sa vie, a décrit les tourments de la nation dans une prose tourbillonnante, aura été contraint d’en vivre la plus cruelle des réalités.

Et pourtant, Haïti peut s’enorgueillir d’avoir enfanté un tel génie. Car un pays qui a produit Frankétienne ne peut être pauvre, et il ne peut pas mourir. Par sa plume et ses pinceaux, il a prouvé que cette terre, en dépit de toutes ses souffrances, a toujours su enfanter des esprits brillants, porteurs d’une culture et d’une richesse incommensurables.

Issu d’un milieu modeste, il s’est imposé comme un géant de la littérature, un pionnier du spiralisme, ce courant littéraire qu’il a cofondé et qui traduit le chaos du monde haïtien dans une écriture en mouvement perpétuel. Il a été un penseur, un visionnaire, un témoin lucide de son époque, un artiste total qui a traversé les décennies avec la même ardeur créatrice.

Frankétienne aurait dû être immortel. Heureusement, ses œuvres le sont. Elles constituent un legs impérissable, un rappel que ce pays ne se résume pas aux criminels, aux incompétents et aux corrompus. Elles témoignent que cette terre a produit autre chose que des traîtres et des hommes légers sans grande contribution aux affaires humaines. Il nous laisse un héritage immense, à la fois poétique et politique, un cri d’amour et de douleur pour Haïti. Sa voix s’est tue, mais son message, lui, résonnera encore longtemps.

Que reste-t-il à Haïti aujourd’hui ? L’ombre d’un pays qui peine à se relever, d’une nation qui ploie sous le poids de ses malheurs, d’une société dévastée par la violence. Mais il nous reste aussi Frankétienne, son verbe et sa peinture, sa voix et son souffle. Il nous appartient d’honorer sa mémoire en réalisant enfin le rêve qu’il portait en lui : un Haïti prospère, créatif et fier.

Frankétienne s’en est allé, mais il continue de vivre à travers ses œuvres. Que son esprit nous guide dans cette quête d’un lendemain meilleur.

Vant Bef Info (VBI)

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