Et si tout le monde dialoguait avec tout le monde ?

Getting your Trinity Audio player ready...

Depuis 2004, Haïti a manqué une occasion historique de se rassembler et de bâtir une nation forte et unie. À l’aube du bicentenaire de son indépendance, ce moment de potentialité a été étouffé par des forces internes et externes, qui ont fait échouer les espoirs d’une refondation nationale. L’économiste Patrick Alexis, à travers une réflexion, dénonce l’incapacité de la classe politique haïtienne à dépasser ses divisions, soulignant les fractures profondes qui continuent de déchirer la société haïtienne. À travers cet article M. Alexis appelle à une urgence : la nécessité d’un dialogue inclusif et sincère pour guérir les blessures du passé et tracer une voie vers l’unité nationale.

Une occasion manquée : le bicentenaire de l’indépendance

Port-au-Prince le 20 novembre 2024

Le bicentenaire de l’indépendance, en 2004, aurait dû marquer un tournant pour Haïti. Cependant, ce moment symbolique a été perçu par beaucoup comme un échec retentissant.

Au lieu de célébrer ensemble notre héritage commun, les Haïtiens ont été divisés par des slogans et des mouvements de protestation qui n’ont fait qu’alimenter les fractures sociales. L’opposition entre les élites, la classe politique et la société civile a été exacerbée, et des groupements comme le Groupe 184 et Ti Minorité Zwit ont creusé davantage l’écart entre les différentes classes sociales.

Les divisions ont permis à une petite élite de bénéficier des privilèges, tandis que la majorité de la population sombrait dans la misère. Le prétendu « nouveau contrat social », censé reconstruire la nation, n’a fait qu’offrir un prétexte à des transitions sans véritable vision, accompagnées de promesses non tenues. Ce manque de solidarité a exacerbé la pauvreté et l’injustice sociale, sans aucune perspective d’amélioration.

Une déconstruction systématique

Depuis 2004, Haïti a été plongée dans un processus de déconstruction méthodique. Les catastrophes naturelles, au lieu de renforcer la solidarité, ont exposé les failles d’un État fragilisé par la corruption et l’indifférence. L’insécurité est devenue une constante, symbolisant l’effondrement des structures sociales et économiques du pays. Les intérêts internes et externes ont manipulé cette instabilité pour accroître les inégalités et exclure les plus vulnérables de toute forme de progrès.

L’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021 a marqué un point culminant dans cette spirale de violence et de désunion.

Cet acte tragique a révélé des luttes de pouvoir internes dévastatrices et a mis en évidence l’absence de tout dialogue entre les forces vives du pays. Avec un véritable dialogue, de nombreuses crises auraient pu être évitées. Le refus de toute forme de réconciliation, alimenté par des intérêts personnels et politiques, a maintenu Haïti dans un cycle infernal d’instabilité.

Le blocage total : une crise de leadership

Aujourd’hui, Haïti est paralysée. L’absence de leadership clair et de volonté politique collective fait que le pays est bloqué à tous les niveaux.

Aucune réforme structurelle n’a été mise en place, et aucune initiative n’a permis de rétablir un minimum de stabilité. Les crises se succèdent : économiques, politiques, sociales, environnementales… et aucune solution n’émerge. Le seul moyen d’en sortir reste un dialogue national sincère, inclusif et constructif.

Un tel dialogue doit réunir toutes les composantes de la société haïtienne : les élites, la classe moyenne, les paysans, les jeunes, les groupes économiques, les partis politiques, la société civile, les cultes religieux, les groupes armés, et la diaspora.

C’est seulement en brisant les clivages sociaux, politiques et économiques qu’Haïti pourra se doter d’un avenir commun. Ce dialogue devra dépasser les antagonismes traditionnels et se concentrer sur la recherche de solutions concrètes pour le bien de tous.

L’urgence d’un dialogue inclusif

Les crises actuelles montrent que sans dialogue, Haïti ne pourra pas avancer. Le pays est profondément fragmenté, et chacun semble poursuivre ses propres intérêts, sans se soucier du bien-être collectif. Les révoltes manipulées, les manifestations violentes, les barricades et les affrontements n’ont fait qu’amplifier la pauvreté, l’exclusion et l’instabilité. Le temps est venu d’unir les forces du pays autour d’une vision commune, afin de poser les bases d’une réconciliation nationale durable.

Un dialogue inclusif implique plusieurs étapes clés :

  1. Désarmement et réinsertion sociale : L’instabilité sécuritaire doit être traitée en priorité par un désarmement immédiat des groupes armés et un programme de réinsertion pour rétablir un minimum de sécurité.
  2. Consultations territoriales : Chaque communauté doit être entendue. Des consultations à l’échelle locale permettront de recueillir les priorités et les besoins spécifiques de chaque région.
  3. Conférence nationale de réconciliation : Une conférence nationale pourrait permettre de sceller un consensus autour des priorités nationales, créant ainsi une véritable feuille de route pour la reconstruction du pays.

Le rôle de la communauté internationale

La communauté internationale porte également une part de responsabilité dans la situation actuelle d’Haïti.

Ses interventions, souvent motivées par des considérations géopolitiques ou économiques, ont contribué à creuser le fossé entre les Haïtiens. Les missions successives de l’ONU, au lieu d’apporter des solutions pérennes, ont souvent exacerbé l’instabilité. Il est désormais nécessaire que la communauté internationale change d’approche : au lieu d’imposer des solutions technocratiques, elle devrait soutenir un dialogue authentique et favoriser le renforcement des institutions haïtiennes.

Rompre avec le cycle de l’instabilité

Haïti ne pourra pas se reconstruire tant que le pays restera pris dans un cycle de transitions stériles et de luttes politiques internes. La seule voie possible pour en sortir est celle de la réconciliation, fondée sur un dialogue inclusif. Ce dialogue doit permettre de stabiliser le pays et d’entamer une transformation sociale véritable. Il est essentiel de rompre avec les logiques de division et de manipulation qui ont miné le pays pendant des décennies.

un avenir commun à bâtir

Plus de deux siècles après sa déclaration d’indépendance, Haïti doit prendre conscience de sa force collective. Il est grand temps de redéfinir le destin du pays à travers l’unité, la justice sociale et une gouvernance responsable. Le dialogue inclusif est la clé pour construire une nation forte et solidaire. Haïti peut encore renaître de ses cendres, mais cela nécessitera que chaque Haïtien, quel que soit son statut ou ses croyances, accepte de parler à l’autre pour reconstruire ensemble.

Le chaos actuel n’est pas une fatalité. Avec un véritable dialogue, Haïti peut retrouver sa dignité de première République noire indépendante.

Par Patrick Alexis
Citoyen Engagé
alexispat@gmail.com

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *