Empêcher l’autre d’être infidèle : un acte de protection, de possession ou un viol ?
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Dans les relations amoureuses, la fidélité est souvent perçue comme un gage de confiance et de loyauté. Mais que se passe-t-il lorsque cette fidélité n’est plus un choix libre, mais une obligation imposée ? Peut-on parler de protection, de possession, ou pire encore, de viol de la dignité humaine ? À travers cette réflexion, nous mettrons en lumière les complexités de la fidélité imposée et ses conséquences profondes sur la relation de couple.
La Fidélité : choix ou contrainte ?
La fidélité dans une relation amoureuse est en principe un engagement mutuel, fruit d’une décision libre et consciente. Chaque partenaire choisit de s’engager à respecter cet engagement, non par peur ou coercition, mais par amour et respect de l’autre. Pourtant, lorsque l’une des parties se sent contraint de rester fidèle à cause d’un contrôle extérieur, de la surveillance, ou des menaces implicites, ce choix devient une contrainte.
Que faire lorsque l’engagement devient une prison ?
Imposer la fidélité par la force, la peur ou le chantage peut sembler légitime à première vue : protéger la relation, éviter la douleur de la trahison. Mais dans ce cas, l’acte de fidélité perd son sens et devient une obligation plutôt qu’un choix. Lorsque l’on contraint l’autre à respecter un engagement, on ne protège pas seulement la relation ; on prive l’individu de sa liberté de pensée et d’action.
Comme le souligne le psychologue et auteur Robert Greene dans son ouvrage Les lois de la nature humaine (2018), « Lorsqu’un individu se sent opprimé par l’autre, la relation ne devient plus une source de plaisir, mais un terrain de lutte pour la survie émotionnelle. » Cette contrainte affecte non seulement l’équilibre personnel du partenaire, mais déstabilise également l’intégrité de la relation.
Manipulation et chosification : quand L’amour devient possession
Empêcher son partenaire d’être infidèle ne relève pas toujours de la simple « protection » ou du désir de préservation de l’amour. Bien souvent, il s’agit de manipulation — une forme subtile de contrôle qui déshumanise l’autre. Quand on exige une fidélité inébranlable par des moyens matériels (surveillance, restrictions) ou immatériels (culpabilisation, chantage émotionnel), on transforme l’autre en objet. Ce n’est plus un être humain libre, mais une propriété à posséder.
La chosification est un phénomène insidieux. En traitant son partenaire comme un objet que l’on peut posséder ou manipuler à sa guise, on nie sa pleine humanité. L’autre n’est plus perçu comme un sujet à part entière, mais comme un instrument pour satisfaire des besoins personnels. L’amour devient ainsi une forme de domination, où la personne est réduite à un simple rôle : celui de “l’époux/la compagne fidèle”.
Erving Goffman, sociologue de renom, décrit dans son ouvrage La mise en scène de la vie quotidienne (1959), comment une personne dans une relation devient une « performance sociale », où elle joue un rôle dicté par l’autre, perdant ainsi son autonomie. « La personne, lorsqu’elle est réduite à une simple image, ne vit plus qu’en fonction des attentes des autres et devient prisonnière des rôles qu’on lui impose », écrit-il. Cette citation illustre parfaitement l’idée que la manipulation au sein d’une relation amoureuse peut transformer une personne en un simple acteur dans un drame relationnel, dénué de liberté.
La Dignité humaine : le droit de choisir
Au cœur de cette problématique se trouve une question essentielle :
Pourquoi le droit à la liberté personnelle est-il si fondamental dans une relation ?
Chaque individu, selon le principe fondamental du droit naturel, est propriétaire de son corps et de ses pensées. Ce principe signifie que, tant que l’on est dans une relation, l’autre reste un sujet libre capable de faire ses propres choix. Lorsqu’on prive quelqu’un de la possibilité de choisir ses actions, ses désirs ou ses pensées, on ne fait pas que porter atteinte à la relation : on porte atteinte à sa dignité humaine.
Imposer la fidélité n’est donc pas seulement une question de contrôle ; c’est une violation du droit à l’autodétermination. L’amour véritable est fondé sur le respect mutuel de cette liberté. L’autre doit pouvoir choisir de rester fidèle ou non, mais jamais sous la contrainte ou la peur. De même, chaque personne doit pouvoir décider de partir ou de rester dans une relation en toute conscience, sans être réduite à un rôle ou à une fonction imposée.
Dans son ouvrage The Blank Slate: The Modern Denial of Human Nature (2002), Steven Pinker, psychologue et linguiste, évoque l’importance fondamentale de la liberté dans les relations humaines : « L’autonomie de l’individu n’est pas simplement un choix ; elle est au cœur de notre bien-être et de notre dignité. Toute relation saine repose sur la reconnaissance de cette autonomie. » Cette citation souligne que la liberté individuelle doit être respectée dans toutes les dynamiques relationnelles, et que la privation de cette liberté nuit non seulement à l’individu, mais à la relation elle-même.
Un Acte de possession ou un Viol de la dignité humaine ?
Il est essentiel de comprendre que l’amour n’est pas synonyme de possession. L’amour, par essence, repose sur le respect de l’autre, sur l’acceptation de sa liberté. Quand on empêche quelqu’un d’être infidèle, il ne s’agit pas seulement d’un acte de protection, mais bien souvent d’un acte de possession. Et quand cet acte est motivé par des mécanismes de manipulation ou de contrôle, cela frôle une violation des droits humains.
On ne peut pas prétendre aimer quelqu’un tout en violant sa dignité. L’amour véritable s’exprime dans la reconnaissance de l’autre comme une personne libre et égale. Si l’on prive l’autre de ses choix, même ceux qui nous affectent, on lui nie la possibilité de se réaliser pleinement en tant qu’individu. La fidélité devient alors une contrainte et non une preuve d’amour.
Emmanuel Levinas, philosophe, nous rappelle dans Totalité et Infini (1961) que « L’amour n’est pas un instrument de contrôle, mais un moyen de découvrir l’autre dans sa différence. La fidélité doit être le reflet de cette rencontre, et non le produit d’une pression extérieure. » Cette pensée montre que l’amour, dans sa forme la plus pure, n’est jamais un moyen de domination, mais plutôt un espace où l’on permet à l’autre d’exister librement et pleinement.
L’Amour libéré de la possession
Empêcher l’autre d’être infidèle peut paraître, à première vue, un acte noble de protection de la relation. Mais en réalité, il s’agit souvent d’un acte de possession, où l’autre est réduit à un objet. Pour que la fidélité ait véritablement une valeur morale, elle doit être le fruit d’un choix libre. Quand cet engagement devient une obligation imposée, il n’a plus de sens et viole la dignité humaine.
L’amour véritable ne doit pas chercher à posséder, mais à libérer l’autre. Seul un amour qui respecte l’autodétermination de l’autre, qui lui permet de choisir librement ses actions, peut être considéré comme véritablement juste et respectueux.
Alors, empêcher l’autre d’être infidèle : protection ou viol ?
La réponse est claire : si la fidélité est imposée, c’est un viol de la liberté, un acte de possession, et une atteinte à la dignité humaine.
ARISTILDE Deslande
Références :
Greene, R. (2018). Les lois de la nature humaine. Penguin Books.
Goffman, E. (1959). La mise en scène de la vie quotidienne. Les Éditions de Minuit.
Pinker, S. (2002). The Blank Slate: The Modern Denial of Human Nature. Viking Press.
Levinas, E. (1961). Totalité et Infini. Martinus Nijhoff.