Conditions de détention indignes : le RNDDH dénonce la promiscuité et l’insalubrité dans les postes de police

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Alors que les commissariats du département de l’Ouest sont devenus des lieux de détention prolongée, le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) dresse un constat alarmant sur la situation de plus de 280 personnes privées de liberté. Ces dernières, entassées dans des cellules étroites, vivent dans des conditions infrahumains marquées par l’insalubrité, la promiscuité, l’inaction judiciaire et la propagation de maladies.

Des commissariats transformés en prisons
Samedi, 31 mai 2025- Dans un rapport publié le 30 mai 2025, le RNDDH alerte l’opinion publique sur les conditions critiques dans lesquelles sont maintenues en détention provisoire 289 personnes réparties dans dix commissariats et sous-commissariats du département de l’Ouest. Ces cellules de garde à vue, initialement conçues pour accueillir une dizaine de personnes sur une très courte période, sont aujourd’hui transformées en véritables prisons, depuis les attaques armées perpétrées en mars 2024 contre les prisons civiles de Port-au-Prince et de la Croix-des-Bouquets.
En raison de l’insécurité, les prisons de Cabaret et de l’Arcahaie ont également été désaffectées. Conséquence : les commissariats et sous-commissariats de l’Ouest sont devenus des centres de rétention prolongée, dans des conditions contraires à la dignité humaine.
Une surpopulation qui expose à la mort lente
Les chiffres relevés par le RNDDH sont édifiants. Le commissariat de Delmas 33 héberge 68 personnes réparties dans quatre cellules : 48 hommes, 10 femmes, et même 10 policiers logent également. Les hommes dorment par rotation ou dans des hamacs de fortune suspendus aux barreaux.
À Pétion-Ville, 48 personnes sont réparties entre deux cellules, dont 41 hommes et 7 femmes.
Le commissariat de Port-au-Prince abrite 61 personnes, soit 10 femmes et 51 hommes, dans cinq cellules exiguës.
À Tabarre, 41 personnes sont enfermées dans deux minuscules cellules, sans accès à des latrines ; elles sont contraintes de faire leurs besoins dans des gallons posés à même le sol, provoquant une odeur pestilentielle.
À Canapé-Vert, 28 personnes sont réparties dans deux cellules, dans lesquelles il est difficile même de s’allonger.
Des procédures judiciaires au point mort
Le RNDDH a constaté que la majorité des personnes privées de liberté n’ont reçu ni visite familiale, ni suivi judiciaire. Certaines sont détenues depuis plus d’un an sans avoir été auditionnées une seule fois par les autorités compétentes.
À Delmas 33, Jean Chrisilome Romain est enfermé depuis janvier 2024, accusé d’enlèvement. Thelusma, arrêtée en août 2024 pour assassinat de policier, vol et vol à mains armées, a été extraite puis renvoyée en cellule sans décision judiciaire. Louis Hilaire, accusé d’escroquerie et de faux, est gardé sur ordre du cabinet d’instruction, mais n’a été auditionné qu’une fois depuis son arrestation en septembre 2024.
À Pétion-Ville, Jacky Abinet, arrêté depuis le 15 mars 2024 pour vol de véhicule, affirme n’avoir jamais été présenté au parquet. Il est sans avocat, sans famille et ne reçoit aucune visite. D’autres, comme Jackendy Désir, Fontnel Paul, Judeline Salien et Olivier Esthimphil, sont dans des situations similaires.
La maladie se propage dans les cellules
Les conséquences de cette détention prolongée dans des lieux inadaptés sont désastreuses. La promiscuité et l’insalubrité favorisent la propagation de maladies. À Delmas 33 et Pétion-Ville, de nombreux détenus souffrent de gratelle. À Tabarre, un cas de tuberculose a été constaté.
Au sous-commissariat de Canapé-Vert, un détenu crache du sang depuis plusieurs mois sans jamais avoir été conduit à l’hôpital. À Port-au-Prince, plusieurs personnes présentent des furoncles, des boutons sur tout le corps et des démangeaisons.
Des femmes affirment souffrir d’infections vaginales. L’absence d’aération, de lumière naturelle et de produits de nettoyage transforme ces cellules en véritables foyers de microbes.
Quelques exceptions notées
Certaines structures présentent toutefois une situation moins préoccupante. C’est le cas du sous-commissariat de Borne-Soldat où les cellules, anciennement réservées aux femmes, sont aujourd’hui vides. Le sous-commissariat de Delmas 62 était en rénovation au moment de la visite du RNDDH, sans personne en détention. Au commissariat de Petit-Goâve, cinq personnes seulement y étaient gardées, et les responsables assurent que la durée de détention ne dépasse pas huit jours.
Des conditions jugées cruelles et inhumaines
Dans ses commentaires, le RNDDH rappelle que la garde à vue, selon la Constitution haïtienne, ne peut excéder quarante-huit heures. Pourtant, des dizaines de détenus restent enfermés pendant des mois, parfois plus d’un an, sans aucune procédure légale ni traitement judiciaire de leur dossier. Pire, certaines personnes déjà condamnées continuent d’être maintenues dans les postes de police, au lieu d’être transférées dans des centres de détention appropriés.
Le RNDDH juge inacceptable que ces lieux de passage soient utilisés comme substituts aux prisons. Ces conditions de détention violentes exposent à la fois les détenus et les policiers à de graves risques sanitaires et constituent un traitement cruel, inhumain et dégradant.
Un appel urgent aux autorités
L’organisation appelle les autorités concernées à prendre des mesures immédiates : auditionner toutes les personnes arrêtées depuis plusieurs mois, juger rapidement les cas de délits ou de contraventions, transférer les condamnés vers les prisons encore fonctionnelles, électrifier les commissariats et les approvisionner en produits de nettoyage, rendre fonctionnelle la prison civile de Pétion-Ville et fournir eau et nourriture aux personnes gardées dans les postes de police.
Pour le RNDDH, l’État haïtien a l’obligation de garantir les droits fondamentaux des personnes privées de liberté, même en contexte de crise sécuritaire. Le respect de la dignité humaine ne peut être relégué au second plan.
Wideberlin Sénexant
Vant Bef Info (VBI)