Un pays racketté où les gangs collectent plus que l’État

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Par Wandy CHARLES

Dans une République où l’État peine à imposer sa loi, d’autres structures s’en chargent. En Haïti, ce sont les gangs armés qui contrôlent désormais les grandes routes nationales et les principaux axes logistiques, notamment autour de Port-au-Prince et dans la région de l’Artibonite. Et en Haïti, ils ne se contentent plus de semer la terreur. Ils administrent, extorquent, et lèvent désormais leur propre fiscalité sur les routes nationales. Résultat : ils collectent plus que l’État.

L’article de Roberson Alphonse, publié dans Le Nouvelliste le 13 mai 2025, illustre de manière saisissante l’économie mafieuse qui gangrène le transport des produits pétroliers. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le droit de passage exigé par les gangs au terminal pétrolier de Varreux est passé de 25 000 à 50 000 gourdes en quelques jours. Pour atteindre le Cap-Haïtien, un camion-citerne peut désormais payer jusqu’à 600 000 gourdes. À Hinche, ce montant grimpe à 700 000 gourdes. Six à sept barrages armés imposent leur « taxe » entre Port-au-Prince et le nord du pays.

Le gang de Savien dans l’Artibonite exige 150 000 gourdes. Le gang de Chen Mechan, ceux de Canaan et de Izo, les brigades autour de l’Arcahaie : tous imposent leur dîme aux transporteurs, qui n’ont d’autre choix que de s’exécuter s’ils veulent traverser le territoire. À cela s’ajoutent des frais à payer même pour les camions qui circulent entre le terminal Varreux et son quai maritime. Le contrôle est total.

L’État absent, les gangs en collecteurs d’impôt

Cette situation ne relève plus seulement de l’insécurité : elle révèle une perte nette de souveraineté. Dans certaines zones, les gangs perçoivent plus de fonds que le Trésor public. Selon les déclarations du ministre de l’Économie, Alfred Metellus, ces groupes armés engrangent entre 60 et 100 millions de dollars américains par an uniquement par le biais de ces postes de péage clandestins. Une estimation effarante, qui ne tient même pas compte des revenus générés par le kidnapping, la drogue, le trafic d’armes ou la contrebande.

La voie publique est devenue une autoroute pour la prédation. Le gallon de gazoline, fixé à 560 gourdes par l’État, est vendu entre 800 et 850 gourdes en province, selon les données du secteur. Pourquoi ? Parce que les commerçants doivent intégrer dans leur prix final les frais illégaux versés aux gangs. Ainsi, une marchandise achetée à 4,6 millions de gourdes avec une marge bénéficiaire de 180 000 gourdes devient déficitaire après les rançons.

Une économie étranglée

Les conséquences sont lourdes. D’abord pour les commerçants, qui voient leur marge fondre. Ensuite pour les consommateurs, qui paient plus cher pour l’essence, la farine ou toute denrée transportée. Et enfin, pour l’État, qui voit s’envoler des ressources fiscales qui auraient pu être investies dans des infrastructures, des écoles, des hôpitaux. Chaque gourde versée aux gangs est une victoire de l’impunité, un clou de plus dans le cercueil de la République.

Ce phénomène révèle une réalité brutale : les gangs remplissent aujourd’hui des fonctions que l’État a désertées à savoir : perception d’impôts, contrôle de territoire, régulation logistique. Ce n’est plus seulement une criminalité de rue, c’est une substitution de souveraineté.

Le sursaut, ou la disparition

Tant que l’État ne reprendra pas le contrôle effectif des routes, aucun redressement économique n’est possible. Tant que les gangs continueront à encaisser plus que la DGI, toute politique de relance restera un mirage. Il ne s’agit plus simplement d’un problème sécuritaire. C’est une crise de gouvernance, de fiscalité et de dignité nationale. Laisser les gangs taxer les camions, c’est accepter qu’ils deviennent les nouveaux percepteurs de la République. Il est temps de choisir : reconstruire l’État ou entériner le règne de l’arbitraire.

Vant Bef Info (VBI)

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