Haïti : une jeunesse qualifiée mais exclue de l’emploi

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Alors que le chômage des jeunes atteint des sommets inquiétants en Haïti, une génération entière se heurte à un mur invisible. Diplômés, compétents et désireux de contribuer au développement du pays, des milliers de jeunes se retrouvent exclus du marché du travail, aussi bien dans le secteur privé que dans l’administration publique.

Crédit photo : Shutterstock

Port-au-Prince, 19 avril 2025 –

« On exige cinq ans d’expérience pour un poste destiné à des débutants. Où suis-je censée les obtenir si personne ne me donne une première chance ? », s’interroge Wideline Jean-Baptiste, 26 ans, titulaire d’un diplôme en administration.

Son témoignage illustre une réalité partagée par une multitude de jeunes. Année après année, ils voient leurs espoirs d’intégration professionnelle se dissoudre face à des exigences déconnectées de leur parcours. Pour beaucoup, le rêve d’un emploi se heurte à un obstacle systématique : l’expérience que personne ne leur permet d’acquérir.

Mais au-delà des critères techniques, une autre condition se dresse : l’obtention d’une référence. Non pas une recommandation basée sur les compétences, mais l’appui d’une figure influente, d’un « grand » capable d’ouvrir les portes.

« Même avec un master, sans un oncle dans le système, tu n’as aucune chance », affirme Ronald Joseph, jeune diplômé en informatique.

Des postes vacants mais toujours inaccessibles

Cette frustration se renforce à la lumière des récents départs massifs dans la fonction publique, provoqués par les opportunités migratoires offertes par le programme américain Humanitarian Parole. Un contexte qui aurait pu ouvrir des perspectives aux jeunes diplômés. Pourtant, peu d’entre eux ont été recrutés. Les rares postes disponibles restent vacants ou sont pourvus de manière non transparente.

L’absence d’une politique claire d’insertion professionnelle accentue le problème. Les concours d’entrée à la fonction publique ne sont plus organisés, fermant ainsi toute voie institutionnelle. De son côté, le secteur privé, affecté par l’insécurité et une inflation persistante, limite ses embauches, privilégiant la réduction des effectifs.

Des emplois attribués par affiliation politique

À cela s’ajoute un phénomène devenu monnaie courante : la distribution de postes sur la base de l’affiliation politique. De nombreux contrats ou nominations sont désormais perçus comme des récompenses accordées à des militants ayant soutenu un parti ou une personnalité politique.

« Ce système a pris racine avec les parlementaires vers 2017 », analyse Rodolphe Saintilus, observateur politique. « Il s’est amplifié lorsque des figures influentes, devenues ministres ou directeurs généraux, ont institutionnalisé ces pratiques. »

Selon lui, les emplois sont souvent octroyés à des individus ayant pris part à des campagnes, des manifestations ou d’autres actions partisanes, indépendamment de leur qualification.

L’exode comme unique horizon

Face à cette exclusion généralisée, le désespoir gagne du terrain. Beaucoup de jeunes finissent par abandonner leurs ambitions professionnelles, contraints de rejoindre l’économie informelle, de s’exposer à des activités à risque ou de prendre la route de l’exil.

Chaque départ représente une perte pour le pays, qui voit s’envoler sa principale richesse : une jeunesse instruite, pleine de potentiel, mais systématiquement marginalisée. Sans une refonte urgente des politiques d’emploi et d’intégration, Haïti court le risque de sacrifier non seulement sa jeunesse, mais aussi son avenir.

Belly-Dave Bélizaire
Vant Bèf Info (VBI)

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