Haïti : Le prix de la faim

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En Haïti, se nourrir est devenu un luxe. Dans un pays où près de 70 % de la population vivent dans la pauvreté ou à la lisière de celle-ci, seuls 2 % des Haïtiens dépensent au moins 10 dollars par jour, seuil qui marque l’entrée dans la classe moyenne selon la Banque mondiale. Les dernières données du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) dressent un tableau alarmant : plus de 6 millions d’Haïtiens vivent avec moins de 2,41 dollars par jour, et 2,5 millions survivent avec moins de 1,23 dollar. Les femmes et les jeunes sont parmi les plus durement frappés.

Port-au-Prince, 14 avril 2025 —Dans les supermarchés de la capitale, les étiquettes témoignent d’une inflation galopante : 605 gourdes pour un sachet de chips, 365 pour quelques bananes, 310 pour une noix de coco, 410 pour une simple cassave sucrée. Ces produits courants deviennent inaccessibles pour une majorité de citoyens. Dans les marchés de rue, les étals se vident, les repas se raréfient, les familles sautent des repas faute de moyens.

« On ne mange plus pour se nourrir, on mange pour survivre », confie une mère rencontrée à Port-au-Prince. « Je dois parfois choisir entre acheter du riz ou des médicaments pour mon enfant malade. »
L’insécurité persistante et les fréquents blocages de routes entravent l’approvisionnement du pays. La rareté des produits pousse les prix à la hausse, aggravant une crise alimentaire déjà critique. Riz, haricots, huile : les aliments de base échappent à de nombreux foyers. Dans les écoles, des enfants arrivent le ventre vide, et même les marchés informels, autrefois refuge des plus pauvres, ne suffisent plus à alléger la charge.
Le Programme alimentaire mondial (PAM) estime aujourd’hui que près de 5 millions d’Haïtiens vivent dans une situation d’insécurité alimentaire sévère. Une réalité quotidienne faite de ventres creux, de croissance ralentie, de résilience usée.
Face à cette urgence, l’État haïtien a adopté en septembre 2024 un budget de 328,1 milliards de gourdes pour l’exercice 2024-2025, soit une hausse de 26,9 % par rapport à celui de l’année précédente. Près de la moitié de cette enveloppe est allouée à la sécurité, tandis que les dépenses sociales sont maintenues parmi les priorités. Toutefois, ce budget, bien qu’annoncé, n’est pas encore en application.
La faim n’est plus une conséquence passagère d’une crise. Elle est désormais une réalité enracinée. Tant que l’insécurité, l’instabilité politique et l’effondrement économique persisteront, le prix de la faim continuera d’être payé par les plus vulnérables.
Dans ce contexte, manger à sa faim n’est plus un droit, mais un privilège. Et survivre, pour beaucoup d’Haïtiens, est devenu un acte de résistance.
Mederson Alcindor
Vant Bèf Info (VBI)