« Bal Mawon » : ces projectiles qui brisent des vies innocentes et endeuillent des familles

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Par Wandy CHARLES

En Haïti, derrière l’expression « balle perdue », communément appelée « Bal Mawon », se dissimule une réalité tragique qui met à nu l’horreur que des milliers de familles vivent au quotidien. Ces projectiles tirés à tout va, lors d’affrontements entre gangs armés et forces de l’ordre, atteignent trop souvent des cibles innocentes, laissant ainsi un cortège de deuil et de douleur.

En 2023, selon le service d’Urgence de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), sur une vingtaine de blessés par balle par semaine, la majorité des victimes ont été atteintes par des balles perdues. Plus récemment, en novembre 2024, l’Hôpital Universitaire de la Paix a enregistré une augmentation de 500 % des admissions pour blessures par balle en seulement quatre jours. Ces chiffres glaçants, plus que de simples statistiques, représentent des vies brisées, des enfants privés de leurs parents ou, pire encore, des parents qui ont dû récemment enterrer leur fils, âgé de moins de deux ans, fauché par une de ces balles perdues.

Les plus vulnérables, comme toujours, paient le prix le plus lourd. Un rapport de l’ONU publié en 2024 révèle que, sur 383 violations graves contre des enfants, 125 décès étaient dus à des balles perdues. Ces chiffres révèlent une crise humanitaire où l’innocence elle-même est devenue une cible.

Les gangs armés contrôlent aujourd’hui plus de 80 % de la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Ils s’affrontent pour des territoires, échangent des rafales de balles dans des quartiers densément peuplés, indifférents à la vie humaine. Pendant ce temps, les forces de sécurité, appuyées par la mission multinationale de sécurité, peinent à restaurer un semblant d’ordre. Cette violence ne se limite pas aux zones d’affrontement. Elle s’infiltre dans les maisons, dans les écoles, dans les hôpitaux. Elle condamne une génération entière à vivre sous le joug de la peur, de la terreur et de la précarité.

Les balles perdues ont déjà fait trop de victimes : le fonctionnaire de l’administration publique dans son bureau, l’écolier ou l’étudiant dans sa salle de classe, le marchand au coin de la rue, le chauffeur de taxi-moto sur la route et l’enfant innocent jouant sur la galerie de sa maison. Ce phénomène lève le voile sur la quantité d’armes en circulation dans le pays, sur l’arsenal, ainsi que sur le nombre intarissable de munitions dont disposent les gangs armés.

Il ne suffit donc pas de condamner. Il ne suffit pas de pleurer les morts. Il est impératif d’agir. Cela passe par un contrôle renforcé du trafic d’armes, mais aussi par des réformes profondes pour mettre fin à l’impunité, éradiquer la corruption et offrir des alternatives aux jeunes enrôlés dans les gangs. La communauté internationale doit également intensifier son soutien, en fournissant à la mission multinationale en Haïti les ressources nécessaires pour remplir son mandat. Mais ces efforts resteront vains sans une prise de responsabilité nationale. Les autorités haïtiennes doivent prioriser le rétablissement de l’État de droit, non seulement comme une réponse à la violence, mais comme un fondement pour reconstruire la confiance d’un peuple épuisé.

Chaque « Bal Mawon » est un rappel de notre échec collectif. Chaque balle perdue est un rappel de notre vulnérabilité, de l’effondrement de l’État et de la faillite de nos élites. Chaque vie innocente fauchée nous rappelle l’urgence de ne pas laisser cette tragédie se normaliser. Le combat contre ce fléau peut paraître farfelu, mais une société qui abandonne ses enfants aux balles perdues est une société qui perd son âme. Cette bataille ne se gagnera pas en un jour, mais elle commence par une prise de conscience collective : l’avenir d’Haïti, à l’instar de tout pays « normal », repose sur la protection de tous ses citoyens, en particulier les plus vulnérables.

Vant Bef Info (VBI)

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