4 ans après l’assassinat de Jovenel Moïse : le procès stagne

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Par Wandy Charles

Le 7 juillet 2021, dans le silence étouffé d’une nuit d’été, des rafales ont traversé les murs de la résidence présidentielle à Pèlerin 5. Le président Jovenel Moïse, 58ᵉ chef d’État d’Haïti, tombait sous les balles, son corps criblé, son épouse grièvement blessée. Quatre ans plus tard, le pays attend encore un procès. Un jugement. Une vérité.

Vingt suspects, dont dix-sept anciens soldats colombiens (deux autres ont été tués à Pétion-Ville quelques heures après le magnicide), sont toujours derrière les barreaux. Non jugés. Non condamnés. Coincés dans les limbes d’une détention préventive prolongée. Pendant ce temps, la justice américaine déroule sa procédure : onze suspects ont été extradés, cinq ont plaidé coupable, et un procès fédéral est prévu pour mars 2026. À Washington, le dossier avance. À Port-au-Prince, il s’enlise.

Depuis 2021, cinq juges d’instruction se sont succédé sur le dossier, tous poussés vers la sortie par la peur, les menaces ou la lassitude. Sans oublier le cambriolage du parquet de la capitale et la disparition de dossiers importants. Le dernier, Walter W. Voltaire, a clos son instruction début 2024. Son ordonnance, attendue comme un point d’ancrage judiciaire, a été transmise au parquet pour réquisitoire définitif. Mais l’élan s’est à nouveau brisé.

Des audiences ont bien été tentées. En lieu et place des palais de justice désormais impraticables, les juges ont improvisé dans des résidences sécurisées de Pacot ou Pétion-Ville. En vain. Décembre 2024 : une autre audience d’appel capote à cause du retrait de la juge Denise Moïse Papillon. Janvier 2025 : une audience décisive est annulée sans explication. La justice recule, au propre comme au figuré.

Un frisson d’espoir a surgi en février 2025. La Cour d’appel convoque enfin à la barre Joseph Félix Badio, suspect central dans l’ordonnance, ainsi que Marky Kessa, ancien maire de Jacmel. Mais là encore, l’élan retombe. En mars, Badio jette une pierre dans l’eau : il affirme avoir téléphoné à Ariel Henry, alors Premier ministre, quelques heures après le meurtre. Révélation explosive, mais toujours sans suite.

Martine Moïse, Claude Joseph, Léon Charles : toutes ces figures de l’État, convoquées à leur tour, ont défilé à la Cour d’appel. Aucune mise en examen. Aucun rebondissement. Des auditions stériles ? En tout cas, le dossier tourne en rond. Chaque report érode un peu plus la République. Chaque jour sans procès retarde la promesse de justice.

Pendant que l’enquête piétine en Haïti, elle prend racine à l’étranger. En février 2025, Gérald Nicolas, un ressortissant canadien, comparaît devant un tribunal à Québec. Il est accusé d’avoir participé à la planification de l’assassinat du président haïtien. Une scène surréaliste : alors que Port-au-Prince peine à maintenir un agenda judiciaire, c’est au Canada que des pièces du puzzle sont examinées.

Dans la capitale haïtienne, la justice est étouffée. Les gangs contrôlent environ 80 % de Port-au-Prince, y compris les zones administratives et judiciaires. Les juges fuient ou se taisent. Les procès se déroulent à huis clos, ou pas du tout. Des suspects clés, comme Dimitri Hérard, ex-responsable de l’Unité de Sécurité Générale du Palais National (USGPN), ont profité d’assauts armés contre les prisons pour s’évader. L’ordre institutionnel se délite. L’État recule.

Et pourtant, à Miami, les audiences s’enchaînent. Les faits s’examinent, les responsabilités s’éclaircissent. Tony Intriago, patron de CTU Security, Christian Emmanuel Sanon ou encore James Solages attendent leur procès. Martine Moïse y est attendue comme témoin, bien qu’elle soit elle-même sous enquête en Haïti.

L’affaire Moïse n’est plus un simple crime politique. C’est un miroir tendu à un État qui chancelle. Une République qui hésite entre résignation et faillite. L’impunité, ici, n’est pas une faille. C’est un système. Quatre ans après le drame, le silence tient lieu de sentence. L’oubli devient doctrine. La vérité, quant à elle, se dilue dans les eaux troubles d’un pouvoir fragmenté, d’un droit dévitalisé, d’une société désillusionnée.

Et seulement ce lundi 16 juin, la justice haïtienne amorce un tournant décisif dans l’enquête sur l’assassinat du président Jovenel Moïse, près de quatre ans après le drame qui a secoué la nation. Après avoir entendu les 17 ressortissants colombiens inculpés dans ce dossier, la Cour d’appel de Port-au-Prince a clos leurs auditions ce lundi 17 juin 2025. Dès mercredi, le juge Emmanuel Lacroix convoque à la barre plusieurs figures de l’appareil d’État de l’époque : l’ancienne première dame Martine Moïse, l’ex-Premier ministre Claude Joseph, l’ex-chef de la PNH Léon Charles, l’ancien directeur de la sécurité présidentielle Dimitri Hérard, ainsi que d’anciens hauts responsables comme Ardouin Zéphirin, Jeantel Joseph et Renald Lubérice.

Tous sont appelés à témoigner ou à éclaircir leur rôle dans les événements ayant conduit à l’exécution du chef de l’État le 7 juillet 2021. Ce nouveau chapitre judiciaire, aussi attendu que sensible, ravive l’espoir de voir enfin la vérité émerger dans une affaire longtemps étouffée par le silence, la peur et l’impunité.

Haïti ne se relèvera pas sans vérité. Et la vérité ne jaillira que si la justice, un jour, ose parler. Le peuple haïtien a le droit de savoir ce qui s’est réellement passé ce 7 juillet 2021 à Pèlerin 5.

Vant Bèf Info (VBI)

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