30 ans après : la PNH face à son destin

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Par Wandy CHARLES

Trente ans après sa création, la Police Nationale d’Haïti (PNH) se dresse, vacillante mais encore debout, dans un pays en proie à un chaos orchestré et planifié. Enracinée dans un idéal démocratique né après la dissolution de l’armée en 1995, cette institution républicaine a été pensée pour incarner la force publique, au service de la loi, des citoyens et de la paix sociale. Pourtant, à l’aube de son trentième anniversaire, c’est une police usée par la violence urbaine, relativement sous-équipée, sous-payée et parfois infiltrée.

Disons-le d’entrée de jeu, il serait tout simplement injuste de passer sous silence les efforts consentis : le déploiement de nouvelles promotions formées dans des conditions précaires, ou encore l’engagement quotidien d’agents héroïques qui risquent leur vie dans des commissariats assiégés, la création de certaines unités dont l’UTAG (Unité Temporaire Anti-Gangs) destinées à combattre les gangs armés. Il faut aussi saluer les initiatives de proximité (EduPol, PoliTour), les actions communautaires, les campagnes d’information et les partenariats internationaux en matière de formation.

Mais tout cela reste trop fragile, trop dispersé, trop tardif. Le cœur du problème n’est pas seulement logistique ou numérique : il est structurel, éthique et surtout institutionnel. La PNH a besoin d’une thérapie de choc, et cela passe par deux impératifs incontournables : le vetting ou certification et la professionnalisation.

Le vetting, c’est l’assainissement interne. Il s’agit d’identifier et d’écarter les agents corrompus, infiltrés, complices de gangs ou impliqués dans des violations graves des droits humains. Sans ce processus rigoureux, aucune confiance ne pourra être restaurée, ni auprès des citoyens, ni auprès des partenaires internationaux. Une police compromise est une police désarmée, politiquement et moralement.

La professionnalisation, c’est la reconquête du métier. Cela implique un recrutement strict et apolitique, des formations continues aux normes internationales, une culture de service public fondée sur l’éthique, la redevabilité et la maîtrise technique. Cela suppose aussi des conditions de travail dignes, des mécanismes de protection pour les agents, et une politique de carrière claire.

On ne peut pas se permettre d’avoir une police à moitié formée et dans bien des cas, laissée à l’improvisation. Dans un pays envahi par des groupes criminels qui défient l’État, la sécurité ne peut être confiée à une institution fatiguée, fragmentée, et dévorée de l’intérieur.

En chiffres, la PNH compte aujourd’hui environ 13 000 à 14 000 policiers actifs, pour un pays de plus de 11 millions d’habitants. C’est à peine 1,3 policier pour 1 000 habitants, bien en dessous des standards minimaux recommandés par l’ONU. Son budget alloué en 2023 représentait moins de 10 % du budget national, soit environ 25 milliards de gourdes, engloutis en majorité par les frais de personnel, laissant peu de marge pour les investissements stratégiques. Sur les 570 communes que compte le pays, moins de 300 disposent d’une présence policière régulière, et plusieurs commissariats ont été récemment détruits par la coalition criminelle VIV ANSANM ou désertés.

À cela s’ajoute un lourd tribut humain. Selon les données du RNDDH, plus de 100 policiers ont été tués entre 2021 et 2024, souvent dans des embuscades ou des attaques ciblées contre les postes de police. À ces femmes et ces hommes tombés dans l’exercice de leurs fonctions, la nation doit un hommage solennel. Leur sacrifice ne doit pas être vain. Il doit nous rappeler que derrière chaque uniforme, il y a un visage, une famille, une vie donnée pour tenter de maintenir debout ce qu’il reste de la Nation.

Les trente prochaines années de la PNH dépendront moins de la quantité de blindés reçus que de la qualité des hommes et femmes qui la composent. Il faut oser regarder la vérité en face : sans une refondation morale et opérationnelle, sans un nettoyage profond des rangs, sans une exigence intransigeante de compétence et de loyauté, la PNH ne survivra pas à la guerre qui lui est imposée.

Et retenez ceci : le vetting n’est pas une punition, c’est une renaissance. La professionnalisation n’est pas un luxe, c’est une urgence. Haïti mérite une police forte, mais juste. Redoutable, mais humaine jusqu’au bout du serment : « Protéger et Servir ».

Vant Bef Info (VBI)

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